Le premier roman de Maya Merrick, Sextant, étonne d’emblée : « Je m’appelle Cassy Peerson et je suis une sirène ». Une jeune narratrice rassemble les fragments disparates de sa vie et reconstitue aléatoirement le fil de son existence. L’entreprise est ardue puisque cette strip-teaseuse aquatique (!) dans un bar glauque mène une vie sans repère stable. Cassy habite une voiture abandonnée et se consume dans le sexe, l’alcool et la drogue. De tels ingrédients mènent généralement à un récit teinté de voyeurisme et de scandales, dont raffolent les autofictions postmodernes, mais Merrick évite ces lieux communs et traque plutôt les lourds souvenirs qui assaillent la narratrice.
Fuyant un dur passé, Cassy raconte par de courtes scènes les images qui affleurent à la surface de sa mémoire. Avec justesse, un sens paradoxal de l’ellipse et de la précision, elle superpose divers temps et lieux (jamais précisés) de sa vie de nomade. De sa relation trouble avec sa mère à ses nombreuses rencontres sexuelles en passant par ses amitiés, véritables boussoles dans un monde sans cap, elle refait son parcours. Son récit se divise en trois parties : la première et la dernière présentent dans le désordre son témoignage, sa vision d’une vie à bout de souffle, partagée entre le remords et le désir, entre une volonté de s’ancrer quelque part et un appel vers le large, vers la mer, lieu d’apaisement. En alternant entre les images qui lui apparaissent, Cassy crée un suspense autour d’elle, ce qui assure une part du plaisir de lecture.
Mais c’est par ses trouvailles narratives que Sextant étonne et charme le plus. D’une part, les intermèdes construits autour de dialogues entre la narratrice et un personnage inventé, interlocuteur d’une femme en détresse, révèlent ses désarrois et ses attentes, d’autre part une section retrace un large pan de son existence en présentant les images d’un rouleau de vingt-quatre poses. Cette utilisation des photos, récurrente dans le roman, constitue l’entièreté de la deuxième partie, bijou d’écriture, qui en quelques pages décrit un album photo, celui de Cassy, ce qui dévoile son drame intime.
Roman rempli de moments de grâce et de trouvailles narratives, Sextant excelle à décrire un univers atomisé, où la solitude contemporaine est exprimée à travers des images éclatées et le vif désir d’établir un fil entre elles.