Depuis sa mort en 1860 et la lente reconnaissance qui l’a suivie, on a toujours présenté Arthur Schopenhauer comme le grand pessimiste de la philosophie. Du coup, avant même d’avoir goûté une seule ligne de son œuvre, on la considère déjà avec un brin de méfiance. À tort, croit Didier Raymond, pour qui la philosophie de Schopenhauer serait plutôt l’expression d’une rare lucidité. Raymond, spécialiste du philosophe allemand – il a lu Le monde comme volonté et comme représentation à l’âge de quinze ans –, nous invite à prendre conscience de l’aspect novateur de cette théorie qui rejette tout idéalisme pour nous ramener à l’essentiel : cette vie ici, cette pulsion de vivre, la souffrance, la mort, l’absence de finalité, l’absurdité, la brièveté angoissante de cette vie. Avec la collaboration du dessinateur et écrivain Frédéric Pajak, Didier Raymond nous offre un très beau livre de courts extraits illustrés, tirés des grandes œuvres du contemporain d’Hegel, ainsi que de textes plus obscurs, comme un journal rédigé entre quinze et dix-sept ans, lors d’un long voyage en Europe, où se lit déjà la propension du philosophe à la critique acerbe. Le livre, qui s’ouvre d’ailleurs sur ce journal, au fil de chapitres intitulés « Aimer, haïr », « Le ménage à trois », « Savoir, ignorer », etc., trace d’abord le portrait de l’homme. Un homme « haïssable » : misogyne, misanthrope, acariâtre, en adulation devant son propre génie, mais aussi sensible à la souffrance de ses semblables, qu’il soit noirs, qu’ils soient forçats. Les derniers chapitres, surtout « Naître, mourir », ouvrent quant à eux sur la métaphysique de Schopenhauer, pour moi l’aspect le plus intéressant de son œuvre, qui fait oublier les opinions parfois discutables du personnage. Près de la moitié des pages sont des reproductions de dessins figuratifs en noir et blanc de Pajak, accompagnées de courts aphorismes qu’ils illustrent au second degré, souvent avec humour.
L’ouvrage s’adresse peut-être plus au néophyte qu’au spécialiste du philosophe, qui aurait apprécié par exemple des références précises aux citations et moins d’extraits consacrés à l’amour des chiens ou à la haine des femmes, des aspects moins essentiels de son œuvre, mais le livre se lit néanmoins avec un réel plaisir, à la fois esthétique et intellectuel.