C’est pour se lancer sur les traces de Flannery O’Connor, et honorer l’esprit qui anime son œuvre, que Kate Barry entraîne son ami Jean Rolin dans un pèlerinage en 2007 qui les amène d’abord à Savannah, d’où le titre du présent récit, puis à Milledgeville, où la romancière vécut. De ce périple, Kate ramène des images filmées qui surprennent par leur côté résolument anecdotique, voire ludique : les consignes de sécurité filmées telles qu’elles apparaissaient sur l’écran incrusté dans le dossier du siège du passager devant elle lors du vol Paris-Atlanta, une aile d’avion, une petite fille endormie, des bottes, des bottes, et encore des bottes, le plus souvent rouges, celles de Kate, qui rythment les déplacements du couple d’amis lancé sur les traces de l’écrivaine, éleveuse de paons à ses heures et pourfendeuse de prédicateurs à d’autres. Ce parti pris de filmer au ras du sol nous ramène constamment à l’importance de l’ancrage, de l’enracinement. Ce qui pourrait ne s’avérer qu’un témoignage filmé d’une quête à la fois littéraire et identitaire (Kate cherchant à retrouver en sol américain ses origines irlandaises) prend une tout autre dimension à la mort de Kate – dont on demeure ici discret quant aux circonstances l’ayant entraînée –, lorsque Jean Rolin entreprend, sept ans plus tard, de refaire le même voyage, s’appuyant alors sur les images filmées par Kate, pour honorer cette fois la mémoire de l’amie disparue.
Pour être fidèle à cette dernière, et épouser au plus près l’objet de sa nouvelle quête, Jean Rolin, qui ne sera nommé ici qu’une seule fois à un moment où Kate l’interpelle, « Attends, Jean ! », adopte un ton et un rythme près de ceux d’une caméra. Chaque phrase épouse le cadre d’une image gravée dans la mémoire du narrateur qui veut, à sa manière, retrouver le pouls de chaque instant, de chaque image d’abord immortalisés sur la pellicule par Kate. Il s’agit en quelque sorte, pour reprendre ses termes, d’une seconde expédition sépulcrale, la première ayant été consacrée à Flannery O’Connor. Le narrateur ne cherche pas tant ici à nier la mort de l’amie disparue qu’à la transcender, à opposer à la fuite du temps, à l’inexorable disparition de toute chose, le souvenir d’un être vivant et enjoué. Souvenir tout à la fois empreint de gravité, de légèreté, voire de bouffonnerie par moments lorsqu’il donne à entendre les paroles, la voix de Kate exprimant son étonnement, son engouement devant l’objet de sa quête. Jean Rolin parvient à la faire revivre sous nos yeux, avec des mots, des phrases ciselées au plus près de chaque battement de cœur. Dès lors, il peut de nouveau quitter Savannah en paix. Un récit des plus surprenants.
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