Le premier roman de France Daigle, Sans jamais parler du vent, avait suscité un grand intérêt en Acadie à sa parution aux éditions d’Acadie en 1983, d’autant plus qu’on hésitait à le classer : était-ce un roman ? Un recueil de poèmes en prose ? L’objet lui-même était perçu comme curieux : une grande demi-page blanche sous laquelle un maigre paragraphe s’offrait à la lecture. Sans oublier un sous-titre nébuleux : Roman de crainte et d’espoir que la mort arrive à temps. Mais tous s’entendaient sur la beauté formelle de l’œuvre.
Monika Boehringer, professeure à l’Université Mount Allison à Sackville (Nouveau-Brunswick) où elle donne des cours sur l’Acadie, a établi une édition critique de ce premier roman, qu’on peut qualifier de passionnante. Il faut dire que les états du texte sont nombreux et que les écarts sont très importants entre la première version et la septième : de 348 feuilles pleines à 137 feuilles au tiers remplies. Tout un cheminement que documente et analyse brillamment Boehringer.
Dans un premier temps, elle nous présente l’auteure, la genèse de l’œuvre et les stratégies d’écriture. L’ensemble permet de mieux saisir ce roman qui, avouons-le, est complexe dans son apparente simplicité. David Décarie écrivait dans le Dictionnaire des œuvres littéraires de l’Acadie (Prise de parole) qu’il est « régi par une esthétique du décousu, du fragmenté ». Boehringer vient expliquer la façon dont Daigle est passée d’un roman à la facture classique dans son premier jet, à une œuvre novatrice qui remet en question le roman par le roman.
Le roman suit dans la même présentation visuelle que l’original. Après avoir donné les états du texte, Boehringer illustre par des exemples bien choisis l’immense écart entre la première et la dernière version. En appendice, on retrouve un texte de France Daigle, « En me rapprochant sans cesse du texte », paru dans La Nouvelle Barre du jour en 1986, dans lequel l’auteure explique son cheminement d’écriture.
Ouvrage universitaire par sa facture, cette édition critique réussit à présenter d’une façon sobre, efficace et claire la grande richesse de ce premier roman qui vient par ailleurs d’être réédité par Prise de parole dans un livre qui réunit également Film d’amour et de dépendance (1984) et Histoire de la maison qui brûle (1985), les trois romans formant une espèce de trilogie.