Fides a eu l’heureuse idée de réunir sous une même couverture ‘ dans la collection « du Nénuphar » ‘ le plus connu, sans doute, des romans de Jacques Godbout, Salut Galarneau ! (1967), et sa suite naturelle, Le temps des Galarneau (1993). Tous deux mettent en scène François, grand liseur et auteur d’une œuvre en construction. Dans le second volet, le personnage a vieilli, il a mûri, et son objectif de « vécriture » (« Moi je veux vécrire », disait-il à la fin du premier roman) s’est quelque peu précisé : la littérature est pour lui « le vrai monologue de l’humanité ».
La présence dans les deux récits de la postmoderne autoreprésentation, illustrée aussi par le frère de François, Jacques Galarneau, « écrivain professionnel » pour la télévision, incite à voir l’essayiste à l’œuvre derrière le romancier. Chez ce dernier, en effet, l’anecdote devient souvent prétexte à discussion ‘ brève, il faut le dire ‘ sur « l’instruction obligatoire », le bonheur, la misère dans le monde, les sociologues, les aléas des relations amoureuses, le pouvoir de l’argent, la loi sur l’immigration, la publicité télévisuelle À côté du français standard, le romancier utilise alors la langue populaire et les jurons idoines, qui siéraient mal à la plume de l’essayiste.
L’écriture de Godbout est par ailleurs celle du constat, direct, brut, voire brutal. François Galarneau réfléchit beaucoup, cherche à comprendre le monde, mais ne se perd pas dans les longs méandres des exposés sentimentaux ou de l’analyse intérieure. De plus, il utilise avec brio le ton de l’ironie, de l’humour et du cynisme, et on en oublie dès lors un peu le rocambolesque de certaines de ses aventures, tels son mariage blanc avec Catherine Soun et, surtout, l’épisode de l’arrestation d’Arthur, l’autre frère, qui se dit Indien et vit sous le nom de Nadja Astac. Cet Arthur, qui rappelle étrangement le personnage du film de Godbout L’affaire Norman William, monopolise la fin du second roman et relance les trois frères vers un devenir qui pourrait fort bien être le sujet du troisième tome de la saga des Galarneau.