Quiconque ratatine la définition du polar en « chasse et capture d’un méchant par un représentant de l’ordre » ferait mieux de naviguer au large de ce bouquin. Oui, Salt River loge une diversité d’enquêtes policières, mais aucun des mystères ne monopolise l’attention. Turner, qui a tâté de la prison avant de s’adonner à la psychologie, est shérif sans l’avoir voulu. Quand son sympathique prédécesseur semble un instant disposé à reprendre le collier, Turner s’en réjouit ; joie de courte durée, pourtant, à son grand regret. Shérif ou pas, le personnage observe la nature humaine avec une forme de sagesse, sans jamais se croire seul et grand responsable de la victoire du bien sur le mal, contrairement à tant de ses semblables. Il doit même dresser des listes étonnamment éclatées pour établir le programme de sa journée : « […] me rendre chez Rod Wilson pour cette histoire de chien ; aller à Hazelwood interroger Mlle Chorley, l’ancienne propriétaire de la Buick, pour essayer de comprendre ce qui est arrivé à Billy ; me renseigner auprès de la police de Memphis pour en savoir plus sur Merle, l’ami d’Isaiah ; agir au mieux pour aider Eldon ». De l’amitié, de la gestion, quelques emplettes, peut-être du crime, de quoi meubler un emploi du temps, pas de quoi jouer au prophète.
Chronique par conséquent plutôt que roman policier survolté. Une tranche de vie révélant en toute sérénité les intérêts humains et professionnels d’un homme honnête et réfléchi. Le quotidien défile sans se laisser traumatiser par les tragédies somme toute inévitables. Le calme résiste aux aléas de l’existence. Même la philosophie et la contemplation ont droit de parole : « Pascal a dit que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». Cette fébrilité, plusieurs des personnages de cette chronique l’évitent sans effort. Le propos final, que formule dans les pleurs une jeune fille subitement intégrée à l’histoire, dit l’essentiel : « Je pleure parce qu’on est là, tous les deux, en train de regarder ça, parce qu’on a des amis comme Doc Oldham, parce que j’ai eu la chance de te connaître. Je pleure parce que le monde est merveilleux ». Bellement écrit, lucide et serein, ce petit bouquin ne cache rien de la réalité, mais se concentre sur la vie.