Une jeune femme aime ouvrir ses fenêtres au vent qui charrie avec lui des souvenirs : ainsi s’annonce la teneur intime du deuxième roman de Rachel Leclerc. La narratrice y raconte, comme au gré du vent, sa vie faite d’abord de multiples escales dans autant de familles d’accueil qui se sont terminées avec le retour à la maison paternelle. De l’étage au-dessus, elle observe les pérégrinations du père qu’accompagne le chien Ti-Tom. Tout au long des pages, il sera d’ailleurs précisément question de cela : l’ambivalente complicité du père et de la fille sur fond de drame familial. Lui, embourbé dans un présent stérile, puisqu’il « ne possède ni le savoir de ses origines ni la vision de son avenir », vit en irréductible sédentaire de l’ici maintenant. Glaneur urbain, il acccumule dans son arrière-cour une prolifération de rebuts hétéroclites qu’il s’échine à nettoyer et à ranger. Vaine consolation matérielle à sa misère affective. Elle, infirmière de jour, « condamnée à la santé mentale », a dû apprendre au fil du temps à se détacher de tout et d’elle-même. Mais, au détour d’une matinée de soleil, surviendra le passage chaud et furtif d’Harold, fauve égaré dans la moiteur d’un été en ville.
L’oxymore du titre irrigue en fait tout le roman. D’un côté, l’exiguïté de la ruelle, d’un quartier paumé de l’Est de Montréal, rappellant en creux l’enfermante étroitesse du milieu d’origine, sa désolante prédictibilité. De l’autre, l’océan, celui qu’on entrevoit parfois aux heures généreuses du jour, celui surtout, dont on surveille la rumeur quand on a soif d’ailleurs. Ruelle Océan n’est pas pour autant un roman triste. Il s’agit d’un très beau roman sur l’inévitable brèche qui divise parfois les générations dans une même famille. La narration de Rachel Leclerc tient surtout de l’observation tendre et lucide d’une détresse urbaine : elle est soutenue par une superbe écriture qui à travers les décombres d’un paysage désolé, arrive à négocier magnifiquement une certaine ligne de fuite.