Revenu sans doute ragaillardi d’une incursion dans le Moyen Âge, Jean O’Neil a rapporté avec lui le genre de la fable. Mais loin d’être poussiéreux, la forme et le ton sont ici résolument intacts. Au hasard des pages on peut cueillir les marques de leur filiation québécoise : Renart, excité par la première neige, arbore sa ceinture fléchée, les animaux sacrent parfois contre le maître des lieux et les Beaudoin, Bouchard et Tremblay, honorables fermiers des alentours, sont ici les seuls délégués de la race humaine. En somme, le bestiaire que nous présente O’Neil est celui que l’on connaît depuis La Fontaine. En trois mots : Renart, le goupil, y est le plus rusé et fera tour à tour la fête à Ysengrin, le vaniteux loup et Brun, l’ours, plus badaud que stratège. Dans cette arène, c’est connu, à chaque bête échoit la personnification d’un travers – parmi toute la gamme des travers humains – ; de laquelle surgit une sorte d’abrégé d’histoire naturelle. Or un tel raccourci dramatique fait la place belle à de véritables guerres d’intérêts, fabuleusement grinçantes et cruelles. Mais encore ici, faut-il l’ajouter, l’astuce l’emporte le plus souvent sur le vice. Ainsi rehaussés d’allusions politiques, ces contes animaliers peuvent aisément s’ancrer dans la réalité du jour. Dans la contrée de Charlemine, par exemple, les étudiants sont payés par le gouvernement pour fréquenter l’école d’hiver et ils doivent se comporter correctement sous peine de réduction des salaires
La lecture de la fable possède encore aujourd’hui des vertus tonifiantes autant par sa concision que par son pendant caustique sous des abords bucoliques (à ce titre, soulignons les jolies illustrations de Gilles Archambault). Jean O’Neil a su manier le genre en grand maître. Il y a beaucoup d’intelligence en ces pages. Ses contes regorgent de finesses de style et d’expressions proverbiales parmi lesquelles chacun a le loisir de puiser ce qu’il lui faut de moralité.