Le phénomène est suffisamment rarissime sur nos terres pour que l’on y donne suite. Le grand philosophe allemand G.W.F. Hegel (1770-1831) s’est vu salué récemment dans une livraison spéciale de Dialogue, la revue trimestrielle bilingue de l’Association Canadienne de Philosophie. Sous la plume de multiples connaisseurs, francophones ou anglophones, du Québec, du Canada ainsi que d’autres contrées, on a ici l’occasion de se colleter à l’une des plus riches et des plus puissantes pensées de tous les temps. Il est d’ailleurs assez déconcertant alors que depuis quelque deux cents ans son œuvre se voit de par le monde activement et abondamment défrichée, faute du reste d’être toujours déchiffrée de constater combien chez nous peu nombreux sont à ce jour les chercheurs à s’intéresser sérieusement à ce maître de l’ « Absolu devenant » (ou du « Devenir absolutisé », pourrait le dire une langue pas très bien informée).
Présenté par les professeurs Suzanne Foisy et David Kolb, le numéro propose au total sept articles dont chacun successivement interroge une dimension du monument. Les contributions de langue anglaise s’attardent pour l’essentiel aux thèmes des Lumières (Aufklärung), de la Liberté et de la Nature. Des trois textes rédigés dans la langue de Miron, Bernard Bourgeois (Université de Paris I) annonce d’abord « Sagesse, culture et philosophie chez Hegel », Marie-Andrée Ricard (Université Laval) présente ensuite « Le droit au châtiment chez Hegel », et Claude Thérien (Université du Québec à Trois-Rivières) enfin nous offre «L’esthétique de Hegel au carrefour de la parole et de l’action ». Deux études critiques sur l’impressionnant Hegel’s Ladder (en deux tomes approchant les 1600 pages, publiés en 1997) de l’hégéliologue canadien bien connu, H.S. Harris (Université d’York), accompagnées d’une aimable réplique de l’auteur, poursuivent en bon ordre le fil de la réflexion.
Il n’est sans doute pas utile dans la présente de détailler les propos. On retiendra toutefois que le produit, de manière générale, se révèle de bonne facture. Si le néophyte de l’hégélianisme risque parfois de s’y perdre un peu, on s’y attend, la plupart des textes restent tout de même accessibles, selon la formule consacrée, à un public dit cultivé. En outre, et ce n’est certes pas là l’une des dimensions les moins intéressantes du volume, notamment pour le lectorat spécifique de Nuit blanche, une part non négligeable de l’espace éditorial (de fait, plus d’une trentaine de pages) est allouée à des comptes rendus s’attardant sur des travaux récents sur le « sujet ». Et parmi lesquels incidemment figure notre propre Hegel…