Les éditions de L’Oie de Cravan nous offraient au printemps dernier deux livres aux couvertures fort attrayantes, écrits par des écrivains français réinventant pour l’un le récit de voyage et pour l’autre le recueil d’aphorismes.
Dans Passage public, on suit Joël Gayraud dans ses errances à travers de grandes et moins grandes villes d’Europe – Prague, Rome, Uzerche en Corrèze –, et surtout Paris, dont il semble connaître les recoins les plus singuliers. Ainsi nous amène-t-il dans ce parc de l’enfance, le square d’Anvers, à une époque où les jeux tenaient plus du théâtre que de la performance, ou dans cette rue Sigmund Freud, entre le XIXe arrondissement et la banlieue, sorte de no mans land ignoré par les graffiteurs mêmes, repaire de sans-abris et de tout ce que la société refoule. Ballades, donc, géographiques, mais aussi politiques, sociales, parfois surréalistes ; on pense à cette exploration du cimetière des Capucins à Rome, décoré de vieux os dispersés anonymement, qui nous rappelle « cruellement la perte définitive d’individuation qui suit la fin de la vie ». Détachement, désinvolture, mais en même temps extrême attention aux détails caractérisent cette plume sobre et élégante, qui a quelques ressemblances avec celle d’écrivains allemands du début du dernier siècle. C’est le paysage urbain, dans tout ce qu’il a d’incongru, qui parle ici, laissant le voyeur en périphérie de son regard.
Comme l’écrit Laurent Albarracin dans Résolutions, il note quant à lui « simplement des choses qui se font rire entre elles ». Il s’agit ici d’un recueil d’aphorismes bien postmoderne, où les propositions, plus que de révéler les contradictions du langage ou du monde, disent souvent l’impossibilité de formuler un sens, même paradoxal. Voilà de drôles de vérités, des « résolutions » absurdes, comme celles qui s’achèvent un 2 janvier, mais aussi des réponses farfelues à des problèmes de tout temps irrésolus. Si certaines de ces « résolutions » prêtent à réfléchir, nous amènent à voir le revers des choses, d’autres cependant restent un peu trop obscures au commun des mortels : « Le bol est nos mains bues ». Ainsi en est-il de ces mises en abyme dont l’auteur s’amuse – et abuse parfois : « La chance est chanceuse », « un signe de signes », « connais-toi toi-même toi-même ». Nonobstant ces quelques accrocs, on lit avec plaisir ce livre plein d’humour, de traits d’esprits, de jeux verbaux, de poésie, où pointe souvent une belle lucidité jamais lourde : « Voir est avide et vain. C’est vouloir percer un coffre en le frottant de toutes ses forces avec un chiffon ».