C’est un magnifique cadeau que les éditions Alto font au lectorat francophone en lui rendant accessible l’œuvre de Margaret Laurence (1926-1987), tenue au Canada anglais pour l’équivalent d’une Gabrielle Roy. Avant 2008, année où Alto a entamé la publication du Cycle de Manawaka – série de cinq romans qui forme le grand œuvre de la romancière manitobaine –, le lecteur francophone n’avait guère qu’une traduction de L’ange de pierre vieille d’une trentaine d’années (mais tout de même signée Claire Martin) et d’Une divine plaisanterie (Joëlle Losfeld, 2006) à se mettre sous la dent.
Une maison dans les nuages relate le séjour au Somaliland effectué par la romancière de 1950 à 1952 pour accompagner son mari ingénieur, chargé d’y superviser la construction de réservoirs d’eau dans le désert. Ce livre, dont le titre anglais (The Prophet’s Camel Bell) n’a rien à voir avec celui adopté en français, date de 1963. Les textes que Laurence avait publiés jusque-là sont toujours inédits en français : A Tree for Poverty (1954), une anthologie de poèmes et de contes somaliens (Laurence raconte d’ailleurs la genèse de ce livre dans Une maison dans les nuages) ; This Side Jordan (1960), un roman ; et The Tomorrow-Tamer (1963), un recueil de nouvelles, qui ont pour caractéristique commune de se dérouler au Ghana.
L’Afrique a laissé une forte empreinte sur Margaret Laurence ; Une maison dans les nuages nous aide à en apprécier l’étendue. Contrairement à sir Richard Burton, qui tenait les Somalis en piètre estime, la jeune Margaret leur témoignait une curiosité ouverte et bienveillante, en dépit des malentendus qui ponctuèrent ses rapports avec eux. Il faut voir le portrait savoureux qu’elle trace de Hersi, un employé de son mari auprès de qui elle apprenait le somali, de Mohammed (leur cuisinier), d’Arabetto (un mécanicien) ou d’Abdi (leur chauffeur). On trouve un peu de tout dans ce livre : des observations pleines de finesse sur le Somaliland et ses mœurs ; des descriptions bien senties des lieux, tels Zeilah et Djibouti ; des anecdotes, tantôt insolites (par exemple au sujet des jinnas noires, aussi appelées « fourmis-cadavres »), tantôt effarantes (par exemple à propos d’une fillette prostituée, Asha). Récit de voyage magistral (et magistralement traduit par Dominique Fortier), Une maison dans les nuages constitue une excellente introduction à l’univers de Margaret Laurence.