Le poète est celui qui a fait le tour de son domaine et qui, du cœur de sa chambre, en retrace sans cesse les contours au fond de lui, jusqu’à oublier, parfois, que lorsqu’il se tourne vers le monde, c’est en lui-même qu’il regarde. Quoi qu’il fasse, il se replie sur ces terres anciennes que ses mots ravivent, et de là il arpente le monde, main dans la main avec ces autres voix qui l’ont forgé et qui lui balisent la voie au cours des errances nécessaires qui le mènent jusqu’aux portes de l’œuvre. Il ne va pas plus loin : le poète est dans sa chambre noire et y demeure. À l’œuvre la lumière du jour et du monde.
C’est de cette chambre que nous parvient la voix de l’auteur du recueil. Tantôt nostalgique, tantôt onirique, cette voix s’échappe de son creuset en quête de ses sources, fait naître de multiples paysages, propose quelques portraits et nous traîne avec elle dans son exil. Il ne nous reste qu’à la suivre et c’est bien l’impression qui demeure après la lecture de ce livre : une série de tableaux présentés comme à la tombée de la nuit, où divers personnages, reflets multiples du poète, s’arrachent à leur solitude pour un peu de clarté. Toujours nous revient l’image de ce qui reste d’une ville que le temps a usée, que la mémoire a émoussée, et c’est dans ce qui en reste que la lumière se fait, à la fois trouble, inquiétante, et salvatrice. C’est de cette lumière que se nourrit le poète du fond de sa chambre, c’est grâce à elle qu’il arrive à situer les frontières du domaine parcouru, à mesurer la distance qui le fonde et le garde en mouvement malgré l’écart que lui impose son regard sur le monde.
Replis est une œuvre qui nous abrite et nous recueille, mais sans la sécurité et le confort d’une lecture facile : les images sont fortes, mais présentent parfois cette obscurité féconde que l’on retrouve chez René Char. Sans tomber dans l’hermétisme, elles nous communiquent un certain malaise dont on ressent la profondeur s’accroître de page en page, mais c’est là le pari de la poésie : nous faire vivre le risque magnifique d’être plus humain, ne serait-ce que pour quelques instants.