Le titre est tristement juste. Plus que d’une fêlure, c’est carrément d’une fracture dont souffre René Lévesque depuis la nuit des longs couteaux. Sans que le fiable Pierre Godin insiste lourdement sur ce verdict, sa documentation autorise à penser que les perfidies commises alors par Jean Chrétien, Roy McMurtry, Roy Romanow et leurs satellites ont rendu Lévesque à jamais fragile. Le doute étreint le bagarreur et l’homme est devenu vulnérable aux dérapages. Frénésie de conquêtes, alcool, méfiance confinant à la paranoïa, tout cela le rend inapte à la gouvernance, mais tout cela découle, dans une bonne mesure, de l’ébranlement subi lors de la collision avec le pouvoir anglo-canadien. Il n’est pas de pire travail de sape que le mépris.
Même si quiconque a observé le Parti québécois pendant quelques années sait à quoi s’en tenir, la patiente chronique de Pierre Godin fait œuvre utile en imputant aux proches de Lévesque une part de responsabilité dans son naufrage. Encore là, on peut se demander qui a amorcé le cycle infernal, le chef primesautier ou la populeuse confrérie des Brutus. Chose certaine, nul ne parvient, pas plus le chef que ses acolytes, à freiner les ambitions galopantes, à restaurer un climat de confiance, à protéger le programme contre le survoltage de congrès surréalistes. Les dauphins autoproclamés deviennent légion dans cette nébuleuse politique où chacun estime démocratique d’amender quotidiennement le credo du parti. Le défi tourne à l’intenable quand les poids lourds du Conseil des ministres et la garde rapprochée du chef péquiste se retirent ou perdent la confiance de Lévesque. Le lion blessé ne peut plus compter désormais ni sur son instinct légendaire ni sur un entourage de taille à le secouer.
On ne reprochera certes pas à Pierre Godin d’élargir l’empan de sa faucheuse. On se réjouit quand il émiette les verres déformants que porte depuis longtemps la journaliste Annie Kriegel et dont Radio-Canada s’accommode trop bien. On apprécie également le rappel éclairant qui fait comprendre le bizarre et disgracieux coup de pouce donné par Pierre-Marc Johnson au candidat libéral dans l’élection d’Outremont : « Le premier meeting des ‘pierre-marquistes’ a lieu chez Raymond Bachand ». On s’étonne, toutefois, de voir l’auteur convertir le nom d’Elmer Mackay en celui d’Aylmer MacKaye. Confusion qui ne pèse guère dans une telle réussite.