Aurait-on surestimé Cité libre, revue fondée en 1950 qui s’est opposée au traditionalisme québécois, et de fait à un périodique comme Relations ?
C’est la conclusion qui revient constamment à l’esprit lors de la lecture d’articles parus dans la revue montréalaise Relations entre 1941 et 2016, tous d’une grande profondeur et pratiquement oubliés. À l’origine, l’équipe de rédaction avait pour projet le « renouveau du catholicisme social en Occident », mais c’est d’abord l’idéal de justice sociale qui triomphe ici. Le modèle de l’époque était la revue parisienne Études (qui existe toujours), mais avec la volonté de se centrer sur le Canada français, selon une perspective de gauche. Il existe en France une longue tradition de revues humanistes et généralistes d’une grande rigueur comme Esprit, Revue des deux mondes, Mercure de France, Études, Nouvelle Revue française ou même le quotidien parisien La Croix, qui n’ont pas vraiment d’équivalents au Québec.
Au fil des articles reproduits, on lira le jeune Fernand Dumont qui, anticipant ce qui deviendra sa Genèse de la société québécoise (1993), affirmait en 1966 la dimension indispensablement identitaire du catholicisme pour le Canada français, en dépit du mouvement de sécularisation et la mise au rancart d’une partie du clergé, au tournant des années 1960 : « Pendant un siècle, nous avons vécu ‘en famille’, l’Église fournissant un squelette et une conscience à une société impuissante à se donner par elle-même l’un et l’autre ». Ailleurs, le théologien Pierre Lucier s’interroge sur les utopies du renouveau véhiculées dans la culture de 1970 : « […]de plus en plus d’hommes et de femmes perdent la honte de rêver et, contre tout l’appareil rationalisé de nos sociétés, font de leurs attentes et de leurs ‘folies’ les plus secrètes le moteur de leur action ». Pour l’actuel rédacteur Jean-Claude Ravet, il importe de préserver ce projet initial d’une « prise en compte de la dimension symbolique et spirituelle de l’existence ».
Avec Relations. Plus de 75 ans d’analyse sociale et engagée, nous retrouvons la crème de la crème d’une importante revue d’idées ancrée dans la tradition québécoise, donnant la parole à de grands penseurs d’ici. Naturellement, on aurait souhaité retrouver des textes d’André Beauchamp ou de l’ancienne rédactrice Carolyn Sharp, mais on comprend qu’une rétrospective reste forcément incomplète. Et dans la présente anthologie, aucun texte n’aurait pu être retranché : tous semblent indispensables. Loin des médias criants et de l’éphémère des magazines clinquants, Relations reste aujourd’hui encore une inspiration et un exemple dans le monde des revues québécoises.