Les ratés — j’utilise, on l’aura compris, un euphémisme — du système québécois de soins touchent aujourd’hui tout un chacun. L’illusion de l’universalité s’est écroulée et les décisions récentes de nos gouvernements (pensons à l’idée géniale d’interdire les déficits), loin d’améliorer la situation, l’empirent un peu plus chaque jour à tel point qu’on se demande si c’est la bêtise ou l’inconscience qui domine. Ajoutez à cela les intérêts corporatistes de la plupart des groupes concernés, et vous arrivez à comprendre pourquoi les malades sont désormais souvent perçus comme des nuisances indésirables dans les établissements dont la mission devrait consister à les aider.
C’est l’histoire longtemps cachée de ce désastre que reconstituent patiemment et avec une rigueur exemplaire Charles Côté et Daniel Larouche. Bien sûr, les tenants d’une médecine néolibérale ne favorisant que les mieux nantis crieront à l’idéologie manipulatrice de gauche et argueront que la distribution de la richesse entre les citoyens et selon les régions d’un État n’a que peu à voir avec la santé, chacun et chacune étant libre de se hisser au niveau économique lui permettant de consommer les meilleurs services offerts. Mais l’analyse des faits empiriques illustre exactement le contraire, ce qu’avaient déjà démontré en 1968 les auteurs de l’Histoire du développement culturel et scientifique de l’humanité, ouvrage étayant les résultats des travaux d’une commission internationale de l’UNESCO. Est-il encore besoin de redire que l’inégalité sociale crée la maladie et détruit les fondements d’un système de santé, c’est-à-dire, comme le rappellent les auteurs au début de leur analyse afin de remettre les pendules à l’heure, « l’ensemble organisé de mécanismes, de fonctions et d’activités qui, à l’échelle d’une collectivité, contribuent à assurer la santé du plus grand nombre » ?
Élaborée à l’origine en vue de mesurer les besoins des populations desservies par la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Saguenay – Lac-Saint-Jean, cette étude s’est rapidement étendue à l’ensemble de notre système (à partir des banques de données du ministère de la Santé et des Services sociaux) pour éclairer les conséquences des options (action ou inaction) faites par nos responsables depuis la Révolution tranquille. Une fois croisés les faits, les hypothèses et la théorie, le tableau devient troublant. Et même si certaines conclusions concernant la terrible dialectique développement/bien-être doivent être discutées et sans doute relativisées, je partage entièrement la conclusion d’ensemble des deux auteurs : « Pourtant, dans un Québec voué à tous les problèmes individuels et qui se dit émotivement ‘ fou de ses enfants ’, nous n’avons pas encore […] vu poindre la moindre décision qui laisse espérer que ce Québec n’en est pas un qui, objectivement, se fout de ses enfants. »