Comment entrer dans ce recueil sans tout d’abord voir son titre comme une mise en garde : tout ce qu’on peut avoir laissé derrière soi ne compte plus. Tout est à reprendre à zéro, on arrive à ce qui commence, peut-être parce que quelque chose a été franchi, une frontière à partir de laquelle plus rien ne peut être vu de la même façon. On entre dans ce livre les mains vides, sans attente, en écoutant la parole du poète, une voix qui se dénude et qui n’a à offrir que le constat sincère qui découle d’un inventaire de l’essentiel en elle.
Il n’y a aucune division en sections au sein du recueil. Il s’agit plutôt d’une traversée sans étape au cours de laquelle on fait un état de ces lieux désolés de la solitude du poète face à sa propre déconstruction, débarrassé du superflu en lui, mais désemparé devant ce qui reste, « ces objets célestes / qui ne peuvent plus se répondre ». Une parole s’élève des décombres du poète incendié, une parole délestée de tout ce qui étouffe le cœur de l’être et qui tente de combler le vide pour tenir tête à l’obscurité du monde. Sous les braises se cache ce qui seul a de l’importance et qui se tait, l’insaisissable cœur du poète, bête à exhumer, animal en fuite en chacun de nous, être multiple qui côtoie la mort et l’Autre qui décline à l’infini dans « le grand creux » d’où la parole peine à se sortir de sa « déparlure ».
Ce recueil, d’une profondeur et d’une sincérité remarquables, nous laisse quelquefois sans repères. Les thématiques s’entrecroisent de manière un peu chaotique, sans effet de progression marquée, mais leur récurrence crée un univers cohérent dans lequel aucune réponse n’est donnée d’emblée. L’auteur nous confie ses doutes et nous amène à partager l’inconfort salutaire de la poésie, c’est-à-dire celui qui nous pousse de plus en plus loin dans la quête du sens qui ne cesse de nous échapper, comme en témoignent ces deux vers : « [D]es forêts aux arbres hauts comme des obscurités, / et des mots minuscules pour nous sauver du monde ».