« Qui de nous deux / Partira le premier », chante Marc Ogeret. Refrain qui a fourni son titre et l’épigraphe au récit de Gilles Archambault. Sa compagne étant morte après plus de cinquante ans de vie commune, il est celui « [q]ui de nous deux, / Restera le dernier / À regarder le ciel, / Tout au long des années », comme le dit encore la chanson. Le narrateur mesure l’étendue du vide et la profondeur du désarroi qui le tourmentent. Il se dit amputé, survivant, terrassé et, même, inoculé d’une tristesse qui jamais ne s’atténuera.

Photo : A.-M. Guérineau
Deux semaines après le décès de sa conjointe survenu le 26 décembre, Archambault raconte au jour le jour la grande déchirure, et ce, jusqu’au 10 mai, trois jours après l’inhumation du corps et la date anniversaire de leur mariage. Fidèle à lui-même, l’écrivain ne se départit cependant pas de la retenue et de la pudeur qu’on lui connaît. Sa compagne, tout comme lui, abhorrait tout ce qui aurait pu dévoiler leur intimité. Et il ne fera que les aveux dont sa femme, Lise, aurait pu prendre connaissance. Car l’hommage qu’il entend lui rendre ne saurait évoquer des confessions affligeantes. Le narrateur insinue tout de même qu’il n’a pas toujours été le compagnon parfait, trop souvent distrait du bonheur qui était le sien. Il se remémore les temps heureux, leur complicité, leurs goûts partagés pour les voyages, la lecture, la promenade et les restaurants, et il pleure. La beauté de sa femme le fascine encore, ce jour où il l’observe, endormie sur son lit d’hôpital, quelque temps avant sa disparition. La mort s’était annoncée dix ans auparavant avec le diagnostic du cancer. Années au cours desquelles il l’a accompagnée dans ses souffrances et ses deuils successifs alors qu’elle s’excusait d’être un poids pour lui. Mais il pouvait encore la toucher, causer avec elle. Poignant témoignage d’amour et d’attachement. Comment envisager l’avenir sans elle ? Il se surprend à souhaiter la revoir même si, athée, il ne croit pas en la vie éternelle. N’est-ce d’ailleurs pas cet espoir, si intense, qui serait à l’origine des religions et du mythe d’une vie après la mort ?
Qui de nous deux ? Quel couple amoureux conscient de la fuite du temps ne se pose pas cette question ? Avec son verbe riche et son lyrisme, Gilles Archambault rend palpable l’émotion qui l’habite. Aussi est-on remué à la lecture de ce récit d’une remarquable authenticité.
EXTRAITS
Au fond, si je tente de restituer notre aventure, c’est que je m’imagine vraiment qu’elle pourrait en prendre connaissance. La vie éternelle, je n’y crois pas. Il y a toutefois des jours où elle me paraît indispensable.
p. 35
Avec elle, j’oubliais parfois pendant quelques jours que la vie est absurde. « Quelle couillonnade », aurait dit Valéry sur son lit de mort. Je ne suis pas tout à fait d’accord : la vie peut être supportable si on a quelqu’un qui partage son désarroi.
p. 80-81
Vivre à deux, vieillir à deux, n’était pas une vie en sursis. Il y avait nos secrets, notre complicité, notre humour, imperméable pour tout autre que nous, notre sentimentalité souvent naïve, nous, en somme.
p. 85