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QUELQUE PART EN AMÉRIQUE

219 pages
19,95 $
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Même si la liste des livres signés Alain Beaulieu offre plusieurs références exotiques, le dépaysement est ici plus net, le pays de remplacement plus lourdement prenant ; les États-Unis ne sont pas Haïti. À peine adulte, Lonie quitte une Amérique centrale accablée de misère et dont elle entend éloigner son fils. Dans son entourage, plusieurs ont déjà couru le risque d’une entrée illégale aux États-Unis, happés par le mythe d’un Eldorado et précipités dans la prostitution ou une autre forme d’esclavage. La compassion d’un policier vaudra à Lonie et à son fils un sursis, sans pour autant leur éviter l’immersion dans une culture de violence, de religiosité clinquante et de carriérisme. Tout culmine lorsque Ludo, le fils de Lonie, est enlevé. Plus de quinze ans s’effilocheront avant que se dessine la trace de la ravisseuse et d’un Ludo promu jeune homme. À peine l’enquête a-t-elle abouti que Lonie, désormais mariée et mère de deux fillettes, doit apprivoiser un fils qui ne la connaît plus. Retrouvailles laborieuses.

Beaulieu s’est refusé à préciser les décors où Lonie prend pied : on ignore où l’attaque le guêpier initial, dans quelle ville Lonie devient boniche sans papiers, sous quel ciel Ludo a planté ses jeunes racines. L’auteur y accroît sa liberté d’expression, mais au risque d’une généralisation incontrôlée. Il tempère ce danger en segmentant la narration : Lonie s’expliquera, Nick, policier affectueux et pondéré, ajoutera ses nuances. Maureen, la ravisseuse, prendra aussi la parole, mais jamais Beaulieu ne lui ouvrira vraiment la sympathie du lecteur ; jamais le dénouement qui la frappe, plus brutal dans ses ablations humaines que sur son versant légal, ne l’immergera dans la repentance qu’on pouvait attendre (et redouter) d’une criminelle born in USA. Pas question pour elle de regret, d’eau lustrale lavant la conscience, de rachat par la confession.

Beaulieu raconte avec autant de vie que de pondération. Cynisme et tendresse, détermination et nombrilisme se côtoient comme le souhaite le creuset du libéralisme économico-fondamentaliste. Les jugements, inexprimés mais disponibles, seront ceux du lecteur. Quant à l’auteur, il n’affirme sa présence que par quelques magnifiques trouées sur l’infini du cœur humain : « J’ai reçu son ‘je t’aime? en plein cœur, comme de la chevrotine crevant l’orignal. Mon âme s’est mise à meugler et à battre du sabot ». Quelque part en Amérique, la vie est à la fois autre et universelle.

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