Que vous ai-je raconté ? La question pourrait aussi bien être de la regrettée Geneviève Amyot que de l’ardent Jean Désy. Dans leur correspondance, les deux écrivains en effet racontent : la vie de famille, les plaisirs, les déconvenues, leurs lectures. Ils écrivent sur la nature, la société, l’art. Surtout, ils se racontent. En ouvrant ainsi sur l’intérieur, une trame de fond se tisse et vient lier leurs lettres. Elle est faite de leur quête intime de sens, sens de l’existence, de la souffrance, de la mort. Cette quête s’entremêle à la narration des faits et gestes du quotidien, aux considérations sur leurs enfants tant aimés, sur leurs textes en cours d’écriture. Tout cela est balayé de la page, avec angoisse ou colère, si elle leur semble vaine. Pour l’un et l’autre, écrire est un besoin pressant, car c’est dans les mailles du texte que le sens peut réapparaître.
Geneviève Amyot écrit du petit bungalow où sa double condition de mère très présente et de poète aux sous comptés la retient. Dans ses missives, elle creuse, fouille, comme on creuse un puits avec la soif en bouche. Elle observe, réfléchit, se révolte, s’émeut. Elle s’insurge au nom des « maganés ». La peur refait souvent surface : peur de l’abandon, de la perte, de la fin. Elle la combat. Jamais elle ne capitule. Quand le rythme module parfaitement le cri, les lettres sont magnifiques. Un souffle ressuscité, un moment de poésie.
Jean Désy se déplace et écrit de lieux adulés ou exécrés. Les mouvements de l’âme dictent ses phrases qui coulent comme une rivière se gonflant de rapides. Il parle d’amour ou de détestation. Amour de ses enfants, du Nord, du divin, de la littérature ; haine de l’insignifiance, de la médecine déshumanisée, de la vacuité. Sa pensée s’accorde aux élans de l’âme. Il se passionne, dévore, sinon il dénonce. L’épistolier est aussi sensible aux mots reçus. S’ils traduisent une fragilité nouvelle, il mesure alors les siens.
L’intérêt premier du livre demeure l’éclairage qu’il fournit sur l’œuvre en devenir. Il en dévoile les embûches pour ces écrivains : le doute, le manque de reconnaissance ou de ressources, la peur de la mort qui y mettrait fin. Il laisse aussi voir leur détermination à les surmonter. Leurs propos sont sans détour et forcent l’adhésion malgré les redites ou les passages moins nourris. La correspondance s’achève abruptement : Geneviève Amyot est emportée par la maladie. La peur n’était pas une chimère.