On dit souvent qu’une image vaut mille mots. Avec ce septième recueil de nouvelles, notre collaborateur montre plutôt que d’une image naissent mille mots. Chacun de ses récits est en effet inspiré d’une photographie reproduite en tête du texte.
Vingt-six nouvelles, toujours brèves (entre six et dix pages) et précédées des photographies qui les ont fait naître. C’est Anne-Marie Guérineau – la cofondatrice du magazine Nuit blanche et sa directrice de 1990 à 2011 – qui les a mises à la disposition de l’auteur. Le lecteur ignorera tout de l’identité des gens saisis sur le vif : une jeune femme enceinte posant nue ; une autre vêtue d’une salopette et poussant un cri (de rage ? de joie ?) ; un homme en noir à la mise élégante ; une vieille femme au bonnet blanc lisant un livre intitulé J’ai percé le mystère des soucoupes volantes ou encore une fillette posant sagement, mais d’un air boudeur, devant l’œil de l’appareil photo (image reprise en couverture). Qui n’a jamais tenté d’imaginer le destin d’inconnus à partir de photographies ? Voilà l’exercice de style qu’accomplit avec maestria et empathie Jean-Paul Beaumier, qui revient à la forme narrative brève – son genre de prédilection depuis L’air libre en 1988 – après avoir tâté de l’essai (il a publié en 2018 un carnet d’écrivain : L’esprit tout en arrière).
La mort d’un proche, la maladie, le vieillissement, l’angoisse d’enfanter, la séparation, l’affection entre frères et sœurs… L’auteur puise son inspiration dans la vie quotidienne, aussi à l’aise à capturer l’instantanéité qu’à évoquer le caractère éphémère des êtres et des choses. Grand lecteur, comme en témoignent les épigraphes empruntées aussi bien à Philippe Jaccottet, Richard Ford, Annie Saumont qu’à Julian Barnes, Jean-Paul Dubois, Alice Munro et quelques autres, Beaumier joue dans la même ligue que ces grands écrivains : sa plume est soignée, sobre et précise, et il fait preuve d’une grande habileté pour observer les micro-drames de la vie (et parfois de vraies tragédies, comme la tuerie du Bataclan, évoquée à mots feutrés dans « Bête à bon Dieu »). Que fais-tu là ? est un recueil qui vaut autant par la douceur de l’écriture que par la finesse des sous-entendus.