Publiés une première fois et séparément entre 1989 et 1992, ces quatre aventures ou mésaventures du même Antoine témoignent d’éblouissante façon des divers talents de Tonino Benacquista, mais surtout de celui-ci : chacune des intrigues s’entend comme la confidence d’un connaisseur à propos de son monde familier. Si Antoine assume le rôle d’un couchettiste à bord d’un train reliant la France à l’Italie via la Suisse, Benacquista lui fait raconter avec une criante vraisemblance le quotidien de cet emploi : la double vie d’un homme qui se partage entre la femme qui assiste à son départ et celle qui l’accueille à l’arrivée, les échanges de procédés plus ou moins odorants entre les employés du wagon-lit, les entourloupettes qui déroutent les douaniers ou rentabilisent les couchettes inoccupées… Si Antoine préfère hanter les nuits de Paris et jouer les pique-assiettes dans les coquetels huppés, Benacquista veille à ce qu’il sache tout des mSurs de ce monde. La même compétence raffinée ou gouailleuse sera au poste si Antoine devient accrocheur de toiles dans une galerie d’art, aspirant champion de billard ou brillant spécialiste des pâtes italiennes. On se laisse guider sans jamais soupçonner que le cicérone n’a peut-être pas passé vingt ans dans chacun de ces décors…
L’écriture de Benacquista ajoute son liant à cette espèce d’ubiquité du romancier. Elle demeure fidèle à elle-même tout en intégrant avec justesse les tonalités exigées par chacun des contextes. Le jargon branché des critiques et des snobs traverse Trois carrés rouges sur fond noir ; si la politesse italienne exige qu’on s’adresse à l’interlocuteur en utilisant la troisième personne, Benacquista, caméléon efficace, laisse tomber le tu ou le vous français. Partout, cependant, le mot vrille, l’épithète raffine le portrait, l’expression juste et raisonnablement cynique assène le dernier coup. L’auteur ignore ce qu’est la dilution d’un rythme ou le mou dans un assaut. Quand Antoine apprend qu’il doit préparer en quatre jours une exposition à base d’installations et d’objets sur des socles, il fulmine : « Je redoute le pire. J’ai horreur de ça, les objets, les statuettes africaines avec des walkmen, des brosses à dents sur des parpaings, des ballons de basket dans des aquariums et d’autres choses encore. C’est la tendance post-Emmaüs. Depuis trois ans, l’art contemporain s’est mis à concurrencer la brocante ». Verdict nettement plus limpide que celui de bien des critiques patentés.
Sans qu’on sache pourquoi, Folio présente les quatre romans dans un ordre qui n’est pas celui de la première publication. Si la décision fut prise pour appâter le lecteur, mieux aurait valu, me semble-t-il, offrir d’abord les troisième et quatrième titres, les plus réussis.