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QUAND IL FAIT TRISTE, BERTHA CHANTE

293 pages
24,95 $
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Lors de son intronisation à l’Académie des lettres du Québec, l’auteur avait rendu hommage à son arrière-grand-mère Tida. Aujourd’hui, il pleure sa mère Bertha, morte aux États-Unis, tout en pensant à sa grand-mère Contita, émigrée à Montréal. Trois générations de femmes qui lui auront « tellement donné ».

Rodney Saint-Éloi est né en 1963 à Cavaillon, en Haïti, et vit à Montréal depuis vingt ans. Essayiste, romancier et poète, il est aussi connu pour avoir fondé en 2003 les éditions Mémoire d’encrier « pour enrichir la littérature québécoise de nouveaux imaginaires, de ces talents et de ces tons différents », a-t-il déjà déclaré en entrevue à Nuit blanche. Dans Quand il fait triste, Bertha chante, l’écrivain raconte sa relation avec sa famille, multiple, décousue, dispersée aux quatre vents, sa famille décomposée et recomposée sous l’égide de sa mère. « Je vous parle de Bertha. Bertha est morte. »

Avec tendresse, Saint-Éloi explique que lui, l’aîné de la fratrie, élevé au loin par son arrière-grand-mère, n’a pas bien connu celle qui lui a donné naissance et qui a ensuite assuré toit et nourriture aux siens. « Je suis cet accident d’une nuit qui pousse dans ton ventre […] qui t’oblige à te réfugier auprès de ta grand-mère Tida, pour laver ton honneur. » La vie emportera mère et fils dans des lieux différents, elle à New York, puis au Connecticut où elle est morte, lui au Québec, après de longues années d’études et de travail littéraire à Port-au-Prince. Ils se sont à peine fréquentés.

Au fil des chapitres, Saint-Éloi semble vouloir combler ce vide, cette absence. Il revisite les quelque 70 ans de l’existence mouvementée de sa mère, jusqu’à sa chute fatale dans l’escalier d’une église, puis sa fin à l’hôpital : « Bertha est un hymne à la joie, je vous prie de ne pas faire des funérailles tristes. […] Elle mérite un vrai festin ». Ainsi en sera-t-il.

À petites doses, qu’il entremêle aux colères, aux doutes et aux espoirs de Bertha, l’écrivain raconte son pays natal, où les enfants grandissent sans futur. Il remonte au temps de l’esclavage, au colonialisme français, à la Révolution de 1804, à la brutalité des dictatures, à la nature déchaînée, à la violence, pour en venir au marasme économique actuel. « Sal fè l fè. Advienne que pourra. »

Un Rodney Saint-Éloi intimiste présente ses frères et sœur, les maris et les amants de Bertha, tous enfuis ou disparus. « Aucun des hommes de ta vie n’est présent à tes funérailles. » Page après page, le voile se lève sur celle avec qui le poète avoue n’avoir guère parlé, mais dont il retrace peu à peu la silhouette avec émotion. « Tu ne demandais des comptes ni au Seigneur ni aux hommes. Tu étais seule. Tu vivais ta vie comme bon te semblait. »

Est-ce pour rattraper le temps perdu que Saint-Éloi avoue, un peu à la Magritte : « Ceci n’est pas un livre. C’est un cerf-volant qui trace la voix de Bertha. Testament d’une mère à son fils » ?

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