Biogéographe, écosociologue et éthicien, Pierre Dansereau est un généraliste de renommée mondiale, un pédagogue et un infatigable homme de terrain. Faut-il s’étonner qu’à 93 ans, un homme qui a embrassé un spectre aussi large de la connaissance humaine ne nous livre qu’une mince tranche de son existence, soit celle de ses premières 25 années d’existence ? L’homme, il est vrai, a vécu intensément.
Les deux premiers chapitres, où Pierre Dansereau, fils de bourgeois d’Outremont, nous livre par le menu les personnalités de ses oncles et tantes des côtés paternel et maternel, ennuient. Plus dignes d’intérêt sont les souvenirs d’une éducation jésuite aride, détestée dès les débuts, où « la soumission et la discipline dominaient en tout ». Par chance, il y a des parents aimants et surtout la découverte de la littérature, la grande, à laquelle l’initie l’ami de toutes les aventures intellectuelles et politiques : André Laurendeau. C’est ce dernier qui sera l’instigateur du cercle littéraire Octave-Crémazie, et celui qui orientera l’aventure politique des Jeune-Canada dont Pierre Dansereau fera partie. Ce mouvement rassemble de jeunes intellectuels (18-23 ans) déterminés à secouer la léthargie dans laquelle s’enlise la province. Le manifeste, qu’ils signeront en 1932, revendique la reconnaissance des droits des Canadiens français et leur accession aux domaines dont ils sont exclus : les sciences et l’économie. C’est d’ailleurs ses ambitions politiques, celles de « s’ancrer dans la terre de ses aïeux » et d’acquérir des connaissances dans ce secteur pour l’influencer, qui mèneront Pierre Dansereau à s’orienter, tardivement, vers l’agronomie, puis vers la botanique. Ce sont aussi les longues vacances estivales à Percé et des emplois d’été comme celui d’aide-arpenteur au Nouveau-Québec qui favoriseront sa vocation de professeur et de chercheur en biologie.
Malgré la densité d’un tel parcours, et le terreau fertile que constituent les années de formation du futur homme de science, cette première tranche d’autobiographie déçoit un peu. Tout au long du récit, Pierre Dansereau intercale les réflexions qui l’assaillent ou les souvenirs qui resurgissent en lui au moment de l’écriture. Ces commentaires ne sont pas heureux : soit trop longs, soit manquant d’à-propos, ils brisent le rythme du récit et érodent bien vite la patience du lecteur. On s’attendrait à plus de rigueur – même si le savant s’avoue d’emblée anarchiste – et parfois même à plus de profondeur chez un homme d’une telle trempe. Malgré tout, cette autobiographie et chronique d’époque, qui se termine au moment où il entame sa carrière scientifique, retrace le parcours d’un acteur incontournable et d’un témoin précieux de notre temps.