De facture universitaire, cet ouvrage collectif s’articule autour de la problématique suivante : dans une société de plus en plus fragmentée, la culture a perdu sa fonction, traditionnelle, d’homogénéisation des pratiques. Elle ne peut plus se concevoir, nous dit-on, comme une forteresse ou un réservoir identitaires. Dans la société pluraliste qui est la nôtre, la culture est ébranlée par une diversité de conduites sociales et s’écrit désormais au pluriel. Dès lors, on peut s’interroger sur la valeur sociale des pratiques culturelles : les œuvres d’art, par exemple, sont-elles encore des lieux de convergence d’identités collectives (un auteur s’exprimant en lieu et place de son public) ou renvoient-elles au contraire à l’affirmation ostentatoire d’une singularité, celle de leur auteur ? En réponse à ces questions, quatorze auteurs examinent, de façon très concrète, les faiblesses, les fragilités, les tensions constitutives du processus de « production de la culture et de l’identité dans le contexte de la francophonie d’Amérique » depuis les années 1970 : la dispersion géographique et les « variétés » linguistiques de la francophonie, le devoir collectif de mémoire et le projet individuel d’émancipation de chaque artiste, ou encore les effets pervers des cadrages institutionnels, sont tour à tour analysés. Les essais sont inévitablement de qualité inégale et quelquefois un peu brouillons, mais le découpage du livre en trois parties « Produire la mémoire », « Produire la communauté » et « Métissage » balise bien la démonstration.
Le champ culturel est réduit, et c’est dommage, à ses formes linguistico-artistiques (langue, architecture, photographie, peinture, théâtre, littérature, musique). Pourquoi ne rien dire des pratiques culturelles quotidiennes et ordinaires, les « arts de faire » (la cuisine, les loisirs ) et les « arts de dire » (le conte) ?
L’analyse des politiques patrimoniales, les échecs du théâtre franco-ontarien conçu d’abord dans la stricte allégeance à une communauté francophone minoritaire, les paradoxes de l’art montréalais qui s’est doté d’une identité nationale en s’internationalisant, ou encore les romans de Marguerite-A. Primeau (une francophone de l’Alberta vivant dans un milieu anglophone, qui n’écrit qu’en français et qui enrichit en permanence son imaginaire littéraire de cette décentralisation ) sont autant d’exemples qui viennent illustrer les enjeux et la subtilité de ce questionnement collectif. Une réflexion dont le souci majeur semble être d’échapper au manichéisme « du prêt-à-penser contemporain qui prescrit que le métissage et l’altérité, c’est bien, alors que la distinction et la différence, c’est mauvais ; que la nation et le nationalisme, c’est dangereux alors que l’ouverture aux autres cultures c’est le salut, […] que l’enracinement, c’est folklorique alors que la perméabilité aux influences culturelles, c’est la modernité ». Du coup, sous couvert de rendre compte de la complexité des choses, sachant que dans les sciences sociales, la preuve n’est jamais de l’ordre du « tout ou rien » mais du « plus ou moins », le propos général tend vers un consensus : en substance, l’existence d’un groupe ne se décrète pas mais s’entretient et à trop vouloir protéger sa mémoire on risque de la figer. L’identité résulte d’un travail social permanent, elle se structure et s’épaissit dans la perméabilité, le braconnage culturel et le frottement à l’autre, courant ainsi le risque de se perdre. Ça sonne juste mais ça paraît un peu frileux (pour un livre militant).