Cette réédition rend justice à un classique de la littérature québécoise récompensé par le Prix du Cercle du livre de France en 1953 et longtemps épuisé. Au cinéma, Poussière sur la ville d’André Langevin (1927-2009) a fait l’objet d’une belle adaptation, assez épurée, tournée en noir et blanc par Arthur Lamothe en 1965, mais dont la sortie et la diffusion furent restreintes à l’époque.
Nouvellement marié, le docteur Alain Dubois s’établit à Macklin, une ville minière imaginaire – assez semblable à Asbestos ou à Thetford Mines. Le médecin travaille constamment, tandis que sa jeune épouse Madeleine s’ennuie et cherche à se divertir. Refusant de jouer le rôle du mari jaloux que les circonstances lui imposent, il veut pardonner à l’instinctive Madeleine ses écarts et ses provocations : « […] la puérilité avec laquelle elle me harcelait la rendait plus humaine ». Mais tout se sait dans le Québec du milieu du XXe siècle et le médecin doit progressivement subir le regard réprobateur de toute la ville qui devine la vie du couple, un peu comme des paparazzis qui observeraient les agissements des notables.
L’influence d’Albert Camus se fait sentir dans l’attitude parfois détachée du narrateur, qui subit silencieusement la désapprobation de ses concitoyens ; on pense en effet à L’étranger, paru onze ans plus tôt. Le décor terne des lieux se fond avec les personnages : « La ville a bien travaillé. Elle resserre son étau sur nous, si bien que nous sommes comme deux fauves en cage dans l’appartement que nous ne quittons pas. Quelques jours encore et nous serons acculés au mur ». Le ton introspectif d’André Langevin s’apparente parfois au monologue intérieur, avec des phrases concises construites comme une succession de pensées spontanées : « Un homme énergique le curé. Il ne perd pas son temps. C’est Thérèse qui m’a appris la nouvelle ».
Rétrospectivement, l’intérêt de Poussière sur la ville réside moins dans son intrigue ou son dénouement que dans sa description méticuleuse – et de l’intérieur – du monde ouvrier, avec la morale des autres, le poids des conventions, le désœuvrement, l’aliénation, l’alcool considéré comme un mode facile de socialisation et comme un remède au stress. C’est précisément le regard d’André Langevin sur ses contemporains qui donne un roman éminemment moderne, et de ce fait le rend presque intemporel, comme beaucoup d’œuvres devenues des classiques.