Une idée reçue veut que la loi 101 ait sauvé le français au Québec. Avec le livre de Lacroix, à propos de cette croyance, il y aura dorénavant un avant et un après.
Il ne s’agit pas ici d’un simple brûlot exprimant une indignation personnelle. C’est un livre documenté, chiffré, reposant sur des statistiques officielles et des faits historiques, qui démontrent que la loi 101 s’est avéré un leurre… et qu’il est temps d’en prendre acte.
Au fond, se rend-on compte, la réelle audace du peuple québécois n’aura duré qu’un temps ; elle aura trouvé son apogée dans les deux ou trois années ayant suivi l’élection du Parti québécois, pour rapidement reprendre une pente descendante. La belle mariée que fut la Charte de la langue française s’est laissé déshabiller morceau par morceau par les forces fédérales, mais aussi par l’impassibilité du Québec lui-même. « Avec la charte de 1977, les Québécois ont remporté une victoire. Une grande victoire. Mais cette victoire a semé la stupeur, voire la gêne. Comme si nous étions collectivement allés trop loin. Le combat pour assurer le statut du français au Québec s’est arrêté là. Comme si la victoire nous était collectivement inacceptable. »
Au cœur de la démonstration de Frédéric Lacroix se trouve la notion de « surcomplétude institutionnelle ». Cette notion signifie que la proportion des ressources consacrées aux institutions anglophones est beaucoup plus grande que celle de la population anglophone elle-même. Est-il besoin de préciser que ce genre de déséquilibre entre la langue minoritaire et la langue majoritaire ne s’observe dans aucune autre province canadienne ?
La surcomplétude institutionnelle signifie qu’il y a plus de places dans les établissements d’enseignement anglophones et moins de surpopulation dans les hôpitaux anglophones. De quoi créer un appel d’air que les immigrants suivent naturellement, imités d’ailleurs en cela même par une part de Québécois francophones. Et on parle ici aussi bien de la clientèle que des emplois, de telle sorte que des francophones québécois se retrouvent au service d’institutions anglophones en raison d’une simple mécanique économique, voire physique.
À une époque où l’on aime à dénoncer les privilèges historiques de certains groupes, il n’est pas mauvais de rappeler qu’au XIXe siècle, le pouvoir politique et la richesse économique appartenaient à une élite anglophone qui ne s’est évidemment pas privée, par exemple, pour prendre « une bonne longueur d’avance en éducation supérieure en fondant McGill. Cette avance a été sensiblement réduite par les réformes issues de la Révolution tranquille (création de l’UQAM), mais elle persiste. Elle est toujours considérable. Et elle est également structurelle, maintenue et financée par l’État du Québec lui-même ». Qu’il suffise de citer les 100 millions de dollars annoncés en janvier 2021 pour l’agrandissement du cégep Dawson.
À cette complaisance du Québec s’ajoute le militantisme fédéral, qui multiplie les subventions favorisant l’idéologie multiculturelle dans les universités par exemple, sans que l’État québécois fasse contrepoids. Précisons d’ailleurs que la Loi sur les langues officielles du Canada (1969) s’est avérée elle aussi un échec. En effet, « cinquante et un an plus tard, travailler en français dans la fonction publique fédérale, même au Québec, relève souvent de la science-fiction ».
Une des promesses de la loi 101 était de faire basculer les immigrants vers la communauté francophone lorsqu’ils s’installent au Québec. Or on constate qu’à peine la moitié des immigrants choisissent la langue de la majorité québécoise. Résultat ? « Le recensement de 2006 a montré que les francophones sont dorénavant minoritaires sur l’île de Montréal. Simultanément, ils reculent dans toute la couronne de la métropole. » Laval est sur le point de basculer, et selon les projections même de Statistique Canada, la Rive-Sud devrait suivre à terme. À l’échelle du Québec, la baisse du pourcentage de francophones s’est accélérée depuis le début du présent siècle. Depuis 1871, « le poids démographique des francophones au Québec n’a jamais été sous 80 %. Il a franchi ce seuil pour la première fois en 2006 et n’arrête pas de descendre depuis. »
On fait souvent valoir que le poids relatif des anglophones diminue aussi, car ce sont les allophones qui se taillent une place grandissante. Mais les enjeux ne sont pas les mêmes pour les anglophones, dont la langue domine sur tout le continent et qui ne peuvent pas perdre cette course.
Que faudrait-il pour rétablir les choses ? Une volonté politique, certes. Mais aussi la vérité sur les chiffres. Cet ouvrage remplit superbement, à tout le moins, la deuxième condition.