Le centenaire du Devoir aura servi et nui à l’effort de Mario Cardinal pour redonner sens et consistance au mythe Henri Bourassa. La synchronisation de l’anniversaire et du livre a certes donné du relief à cet indispensable bouquin, mais elle aura contraint l’auteur et l’éditeur à en précipiter la parution. Déjà existait un écueil : autant surabondent les gloses sur Le Devoir, autant s’avère évanescente l’information concernant Bourassa et son parcours intime. Le mérite de Mario Cardinal s’en trouve accru. Sérieux et nuancé, le bouquin confesse d’ailleurs ses limites : « Ce livre n’a pas de prétentions historiques ».
Cardinal met l’accent sur l’ombrageuse liberté de Bourassa. Il admire Laurier sans lui être asservi. S’il noue telle alliance circonstancielle, Bourassa recouvre à l’instant de son choix son incompressible marge de manœuvre. Seule limite, mais elle est de taille, une docilité aussi aveugle que la foi du charbonnier dès que tonne l’évêque de Rome. Bourassa se taira plutôt que d’entrer en conflit avec Pie X et, plus encore, avec Pie XI. Cardinal multiplie les approximations pour cerner ce qui, chez Bourassa, tient du rigorisme, de la stricte observance, de l’ultramontanisme et du scrupule. Bourassa pratique, en effet, un césaro-papisme qui soumet son journalisme aux volontés vaticanes. Quand Pie XI lui sert une semonce d’une heure, Bourassa répudie toute idée de « nationalisme immodéré ».
Par l’énumération des « combats » menés par Bourassa, Cardinal prouve d’un coup la fabuleuse polyvalence de l’éditorialiste et son instinct belliqueux. Guerres impériales, loi sur la marine, colonisation, batailles de l’Ouest, de l’Ontario et de Providence, tout y passe. Privilégier les thèmes comporte une rançon : la chronologie disparaît et l’unité de pensée vacille. Moins pressé par le temps, Cardinal aurait peut-être lié plus intimement les combats à un faisceau de convictions. En présentant certains enjeux sous forme de dialogues, Cardinal retrouve cependant les charnières de la réflexion. Un index, facile à créer, aurait réduit encore les inconvénients d’une structure thématique.
Il faut souhaiter que Cardinal garde ouvert ce chantier et qu’il intègre les 22 ans consacrés au Devoir par Bourassa (1910-1932) aux 84 ans de vie du pamphlétaire.