Herménégilde Chiasson, poète, peintre et cinéaste acadien (qui remportait en 1999 le Prix du Gouverneur général dans la catégorie poésie), et Pierre Raphaël Pelletier, écrivain et peintre franco-ontarien, nous proposent un discours parallèle sur la Beauté, la vraie, celle qui compte, qui vous donne envie de prier, pour laquelle vous risqueriez tout. Chaque page du texte est composée sur deux colonnes, Pierre Raphaël Pelletier occupant celle de gauche, Herménégilde Chiasson celle de droite. À vrai dire, le premier a d’abord écrit tout son texte, qu’il a remis à l’autre, lequel se trouva dès lors autant à écrire librement sur la beauté qu’à réagir aux propos de son complice. Une complicité à la fois dans l’amitié et dans la parole même, dans la mesure où ils se complètent sans se répéter. Pierre Raphaël Pelletier est impulsif, tourmenté, révolté, il a foi en la beauté comme on croit en Dieu ; elle est pour lui une religion, un mode de vie, le souffle de la création artistique. La beauté, par le biais de l’œuvre d’art, interpelle l’absolu, la mort, elle devient « notre ténacité à durer, notre impuissance érigée en création ». Le titre de l’ouvrage est de lui, via Rimbaud dans Une saison en enfer : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et je l’ai trouvée amère. — Et je l’ai injuriée ». La beauté se trouvera dans le désordre, l’excès, le sacrilège, la folie, la souffrance ; en ce sens, et malgré parfois de très belles formulations, rien de nouveau ici, c’est l’héritage quasi permanent, si je puis dire, de la Beat Generation et de la contre-culture des années 1970. Herménégilde Chiasson apparaît plus interrogatif, pessimiste ou moins euphorique ; pas seulement question de crier l’injure, mais de trouver la beauté dans la simplicité du geste quotidien, de saisir l’injure dans le silence même. Les formules tout d’une pièce de Pelletier l’inspirent, l’amènent à nuancer, à multiplier les points de vue.
Dans l’ensemble, cet essai est en plusieurs points remarquable. Le discours, je l’ai dit, est connu, mais il acquiert, dans cet échange de vues, une dynamique particulièrement originale qui en fait tout le prix. Pelletier et Chiasson sont en verve, bien que l’écriture complaisamment hermétique et fortement égocentrique de Pelletier fasse contraste avec le discours de Chiasson, ouvert sur l’autre. Mais cela tient aussi du pari, que l’ouvrage relève haut la main. Enfin, les deux écrivains ont orné les pages (pas seulement les marges) de graffitis et de reproductions artistiques diverses qui ajoutent au dynamisme du discours.