Le parcours de Jacques Grand’Maison lui vaut d’entrée de jeu une lecture respectueuse. À tel point qu’on hésite à émettre ne serait-ce que de timides réserves. Dans l’effervescence du débat sur la laïcité, les accommodements raisonnables et le programme scolaire sur l’éthique et les traditions morales, spirituelles et religieuses, seul un apprenti sorcier oserait discréditer la réflexion d’un Québécois qui s’est intéressé autant à Tricofil qu’à la génération lyrique, à la dilution du sens commun autant qu’aux laideurs de l’Halloween.
Dans Pour un nouvel humanisme, on se réjouira donc d’entendre Jacques Grand’Maison saluer l’accession du Québec à la laïcité et l’apparition d’un programme scolaire préparant les jeunes à un pluralisme éclairé. Face aux craintes qu’expriment certains milieux québécois attachés à l’enseignement confessionnel catholique, la caution offerte par Grand’Maison érige une balise fiable et rassurante. Le théologien a d’autant plus de mérite à vanter le pluralisme que le Québec dont il partage les espoirs n’avait pas l’amitié ou la coexistence avec l’Autre comme principale caractéristique. « […] mes collègues ou amis agnostiques m’ont amené à me délivrer de plusieurs fausses conceptions de Dieu et d’un certain héritage dogmatique ou moralisateur, clos sur lui-même. »
Grand’Maison pondère cependant son endossement. La laïcité, écrit-il, ne doit pas expulser la religion à la marge de la vie sociale. En outre, elle ne débouchera sur l’humanisme auquel elle prétend qu’à condition d’intégrer l’histoire occidentale dont le christianisme lui a laissé les marques. Double exigence qui risque de déboussoler l’éventuelle laïcité scolaire. Le lecteur aura le droit de demander si les précautions souhaitées n’indiquent pas chez le théologien une dose de méfiance. Il a raison de demander si les maîtres seront prêts à assumer tout à l’heure un programme requérant une immense culture spirituelle et religieuse, mais peut-être sa conception de la laïcité fait-elle la part trop belle à l’héritage chrétien par ailleurs indéniable.
Cet ouvrage de Jacques Grand’Maison souffre du même mal que plusieurs des précédents. L’auteur passe d’un concept à l’autre, d’un mot à l’autre, sans toujours baliser les contours de chacun. Ainsi, spiritualité et religion s’échangent les chapeaux. L’âme se substitue au terme de foi sans nuances suffisantes. « Il faut de l’âme, écrit Grand’Maison, pour croire au paradoxe de la finitude humaine et de sa capacité de l’infiniment dépasser. » Il concédera que « l’âme n’est pas que mystique », mais ce sera pour ajouter : « Que seraient nos rudes vies sans nos élans intérieurs d’âme, d’espérance, d’ouverture à plus grand que soi ». Quand l’âme devient ainsi vertu théologale, aux côtés de l’espérance et de la charité, la laïcité subit une mue.
La reconnaissance due à l’héritage chrétien pousse Grand’Maison à embellir le legs. Si l’Église et l’État ont pu distinguer leurs fiefs respectifs, le mérite, d’après lui, en revient au christianisme. Paul Veyne écrit le contraire : « Il faut donc en finir avec le lieu commun selon lequel l’Europe devrait au christianisme d’avoir séparé politique et religion […]. Belle découverte, mais due au césarisme et non au christianisme » (Quand notre monde est devenu chrétien,Albin Michel, 2007, p. 246). Dans un autre domaine, l’éloge redevient inflationniste quand il faut remercier le christianisme de « huit siècles de musique » admirable. Autant remercier les Médicis du génie de Michel-Ange.
Le cheminement vers la laïcité scolaire et sociale sera ardu si même un Grand’Maison lui mesure sa confiance.