Auteure d’une exemplaire fidélité à ses préoccupations, France Daigle fait quand même puissamment progresser ses personnages et ses thèmes d’un livre à l’autre. Pour sûr le démontre éloquemment. Jamais encore elle n’avait poussé à un tel dépassement sa passion pour les chiffres, les sondages, les compilations. Jamais non plus elle n’avait accordé à sa langue acadienne une attention aussi vigilante et chaleureuse.
France Daigle aime morceler le propos et faire mine de succomber au caprice de l’instant. Sans jamais troubler la fluidité du débit, tout semble discontinu, étranger à ce qui précède ou suit. Puis, comme dans une courtepointe qui avoue lentement ses préférences et les réserve aux regards réfléchis, des accents se dégagent, des parentés émergent. La comparaison se justifie d’autant plus que l’auteure inclut elle-même la broderie et ses minuties dans son évocation de la vie.
Les statistiques sont omniprésentes. Un sondage tente de savoir quelle couleur on attache à telle voyelle ; que Rimbaud en soit réconforté. La bibliothèque idéale est scrutée à la loupe et contrainte d’avouer qu’un pourcentage élevé de ses auteurs a un nom commençant par un mince pourcentage de l’alphabet. Le golf fait l’objet de sondages qui concèdent que les deux sexes n’abordent pas ce sport (?) dans le même esprit. Mais la diversité des champs de recherche ne saurait occulter l’importance des chiffres eux-mêmes : ce qui n’était qu’allusion dans un livre précédent devient ici préoccupation constante et majeure. Si le chiffre douze attirait déjà l’attention de l’auteure dans Pas pire, il mérite ici un culte de tous les instants. Si le zodiaque et ses douze maisons servaient alors d’illustration, le chiffre lui-même occupe maintenant l’avant-scène. « […] le chiffre douze représente aussi l’accomplissement et le cycle achevé, disait Pas pire. Multiplié par lui-même, le chiffre douze mènerait à la plénitude et au paradis, rien de moins ». Cette fois-ci, l’auteure effectue l’opération rêvée et range ensuite ses réflexions en 144 créneaux. Pareille voltige mathématique rappelle le pari d’un Perec écrivant un livre entier sans utiliser la lettre e ou la gymnastique de la cabale ou de l’OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle).
Le chiac, langue acadienne lourde de plusieurs sources, gagne lui aussi du terrain dans Pour sûr. « Vu le grand nombre de langues mortes ou mourantes, pourquoi ne pas reconnaître celles qui veulent vivre, leur donner une chance ? Le chiac, par exemple. Hérésie ? » Certes, le couple formé de Carmen et de Terry souhaite purger le chiac des termes anglais dont l’équivalent français est disponible, mais il semble bien que ce soit pour qu’il ose ensuite s’afficher fièrement.
Livre-baleine, dirait Yves Beauchemin, mais aussi séduisant que déroutant.