Astucieusement élaboré, cet ouvrage nous permet d’intégrer coûte que coûte dans l’histoire, et au-delà de l’engagement d’un homme, un temps, je veux dire une manière de concevoir l’existence des personnes et des peuples dans la liberté. Nous n’oublierons pas, malgré tous ceux et celles qui cherchent à bâillonner les mémoires ! Étant donné la multiplicité de l’être, nous optons pour le travail de persistance !
Dominique de Roux nous aide, lui qui participe en tant que journaliste à la révolution des Œillets, alors que le salazarisme expire et que voit lentement le jour la nouvelle démocratie portugaise rendue possible en partie par l’union fragile de l’armée et de l’extrême gauche. Mais le fondateur de l’Herne et animateur passionné de la collection 10/18 n’est pas homme à foncer dans les miroirs aux alouettes. Anarchiste d’extrême droite, il sait que ce joint venture stratégique ne vaut pas mieux que la résistance conservatrice qu’il combat. Déçu persévérant, il se tourne vers l’Angola pour accompagner le combat de son ami Jonas Savimbi, pour agir et amorcer une réflexion sur la logique symbolique structurant l’inévitable décolonisation de l’Empire portugais de l’époque (Guinée, Cap-Vert, Mozambique et Angola), consommée en janvier 1975 par les accords d’Alvor.
Or, aux yeux de Didier da Silva, c’est précisément cette logique symbolique qui rend périlleuse et passionnante l’aventure de Dominique de Roux : la logique de la Tricontinentalité (sorte d’union entre le Portugal, l’Afrique et le Brésil) qu’il propose comme troisième voie entre les États-Unis et leurs alliés d’une part, et le monde communiste d’autre part — utopie qui correspond, sur le plan géopolitique, à la philosophie de l’Universalisme prônée par Fernando Pessoa —, ranimerait inévitablement, si elle se concrétisait, l’Empire colonial. Notre chance vient de ce que les utopies n’ont d’autre lieu que l’imaginaire ; de là vient toutefois leur force quand on entreprend de les réaliser.
C’est ce parcours qui nous est ici présenté, à travers des interviews, des lettres, des articles et divers documents. Il fallait toutefois en passer par le Dominique de Roux acteur de la littérature, ironique s’il en est, comme le prouve la revue Gulliver , cheval de Troie qu’il construit en réunissant Sartre, Arrabal, Matzneff et quelques autres autour d’une position qui voulait « à couvert de la littérature conventionnelle, nous introduire dans le système des lettres, de plus en plus académique, solennel, et le dynamiter ». Et celui aussi de l’« Internationale Gaulliste » (avec des gens comme Han Suyin, Senghor et Mohamar Firouz), partie de la nécessité « ontologique » d’une révolution mondiale pour appuyer les luttes de la Palestine, de l’Irlande, du Québec et du Bangladesh.
Aussi discutable que soit parfois sa pensée, Dominique de Roux nous éclaire en ce qu’il exprime la honte que constitue pour l’humanité toute forme de fascisme. On ne sera donc pas surpris de voir le livre se refermer sur un texte dans lequel Pétrus Batselier rapproche pour les confronter et les rassembler Dominique de Roux et Guy Debord. Les modes et les spectacles ont leurs côtés insidieux, sédatifs. Comment garder le feu sans tomber dans les cendres ?