Comme son personnage Ivan Dolinar, protagoniste de Poisson d’avril, l’auteur montréalais Josip Novakovich est d’origine croate. Est-il yougonostalgique (nostalgique de l’ère titiste), cynique ou tout simplement réaliste ? Être issu du puissant pays qu’était la Yougoslavie, longtemps gouvernée de main de maître par le socialiste Tito, dont l’armée était classée au cinquième rang mondial, disait-on, semble donner à certains ex-Yougoslaves le goût de raconter leur propre version de leur difficile histoire récente. Le grand État multiethnique est aujourd’hui divisé en sept nations indépendantes, à la suite de sanglantes guerres fratricides.
« Voici venu pour nous le jour de chanter notre liberté, notre pays, et notre chance de vivre dans la fraternité et l’unité, nous tous, Slaves du Sud », enseignait-on alors à l’enfant Dolinar, comme sans doute au jeune Novakovich, avant que ce dernier ne parte à vingt ans vivre aux États-Unis. La chance n’a pas toujours souri à Ivan Dolinar, qui se met régulièrement les pieds dans les plats. Une malencontreuse blague sur Tito et le voilà prisonnier au goulag de Goli Otok, de terrible mémoire, obligé bien malgré lui d’interrompre ses études de médecine.
L’antihéros sortira de prison peu avant la mort de Tito en 1980, étudiera la philosophie et enseignera dans son village natal. Son destin le rattrape rapidement et pendant les conflits serbo-croato-bosniaques des années 1990, il sera enrôlé dans l’armée yougoslave « qui soutenait activement Milošević et son projet de grande Serbie ». Il désertera l’armée yougoslave, sera recruté de force dans l’armée croate et fait prisonnier par l’armée serbe. Pour finir sa vie comme il l’avait vécue, de manière ubuesque. « L’idée qu’il pourrait mourir, disparaître d’un coup, sans avoir rien fait de sa vie, sans avoir rien compris, le terrifiait. » La mort de Dolinar occupe un bon tiers du roman, le propulsant dans de nouvelles aventures absurdes.
Novakovich utilise les funestes aléas de son pathétique personnage pour parodier finement les déboires historiques de son ancien pays. Sens de l’autodérision, sarcasme et ironie sont à la clé. L’auteur affiche sa filiation avec ses confrères slaves, dont l’humour noir et l’esprit mélancolique – sveda, en bosniaque – ne sont plus à démontrer. Il partage le sens tragi-comique, plus tragique que comique d’ailleurs, des écrivains des Balkans et d’Europe centrale, tels le Bosniaque Hemon, la Slovène Svit, les Tchèques Hašek et Hrabal, le Croate Krleža ou le Serbe Albahari.
Le talent de conteur de Josip Novakovich est reconnu mondialement. Il a déjà reçu le Whiting Writer Award et une bourse de la Fondation John Simon Guggenheim, entre autres prix. En 2013, il a été finaliste au Man Booker International Prize, qui récompense un écrivain encore vivant pour l’ensemble de son œuvre.