Prématurément disparu (il mourut à 23 ans, en 1953), Sylvain Garneau avait pourtant déjà entrouvert à grandes portes son imaginaire à la délicatesse et à la fureur de la parole et du désir. Non, il ne fut pas fou, et non, il ne fut pas romantique. À peine quelques souffles ‘ mais quelle cage thoracique ! ‘ d’exaltation de jeunesse, proche parfois de la passion faustienne. Mais sans plus. Ce poète vint dans le monde pour affirmer sa marche personnelle sans jamais verser dans la sensiblerie, comme si la plénitude lui avait été donnée. En rapprochant ses vers juvéniles de ceux de Rimbaud, Alain Bosquet et François Hertel avaient eu la plume franchement plus heureuse que Gilles Marcotte qui, lui, le tirait dans des lignes complaisantes du côté des Jacques Prévert, Raymond Queneau et Francis Ponge. Ce n’est pas en parlant d’objets qu’on prend le parti pris des choses.
C’est donc avec bonheur qu’on voit aujourd’hui réédité les deux recueils de Sylvain Garneau : Objets trouvés, publié en 1951 et préfacé par Alain Grandbois, et Les trouble-fêtes, paru initialement en 1952. Serge Patrice Thibodeau, qui signe la présentation, a raison de souligner la remarquable aisance du poète à jouer de la chute et du refrain. Sitôt entré dans son univers, on perçoit la justesse d’une langue qui ne se déborde ‘ oh !, à peine ‘ que lorsqu’elle aperçoit dans l’obscurité un futur à offrir : « Si l’ombre avait une ombre on verrait des fantômes ». Voilà : on n’est jamais à plat chez cet écrivain. Sa métrique « classique » ne l’empêche pas, bien au contraire, de révéler sa liberté intérieure, charpentée d’ailleurs. Car un roi sage, même dans ses moments les plus fous, voit au loin : « J’habitais un château mais j’aimais la forêt ». Et ce roi habita la ville et la campagne, navigua sur les trottoirs et courut sur les rivières. Il connut la richesse des arbres et la disette des clochards, le bonheur des papillons et la rigueur de la folie. Se côtoient chez lui des poèmes délicieux, d’une suavité précieuse à l’être, avec d’autres plus graves, ancrés dans la folie des fantasmes, comme quand une folle de village entend dans le givre des carreaux « [D]es palmiers d’argent sous un ciel de cuivre / Et des viols sans fin sur les sables chauds ». Peurs et passions sont encryptées là, dans la tragique beauté de la désespérance vitale. Tôt initié aux rivages de l’homme, le poète les quitta en assurant sa présence.