Le projet d’édition critique de l’œuvre poétique de François-Xavier Garneau (1809-1866) a été élaboré dès 1970 par Paul Wyczynski, décédé en 2008, de concert avec Pierre Savard, disparu dix ans plus tôt. Après « une mise en jachère de quelques décennies », il connaît maintenant son aboutissement sous la gouverne de Yolande Grisé, qui a joint l’équipe de recherche en 2003. Il s’agit d’un travail d’envergure. La reconstitution du corpus versifié de celui dont la renommée d’« historien national » a surpassé de loin celle du poète est menée selon les principes canoniques de toute édition sérieuse de ce type : les 30 poèmes de François-Xavier Garneau connus à ce jour sont restitués avec un apparat critique abondant et documenté. Les 2984 vers de ces 30 poèmes, qui tiennent ici en 103 pages, sont en effet accompagnés de 204 pages de « notes et variantes », d’une biographie sélective détaillée de 48 pages, d’indications bibliographiques et des conventionnels avant-propos, introduction et description des normes éditoriales, à quoi s’ajoutent un appendice, un index et une postface. Les éditeurs ont particulièrement soigné les notices générales en retraçant pour chaque poème ses différents lieux de publication, avec les changements de titre et de contenu le cas échéant, et en exposant, après un résumé de la pièce, sa structure strophique et prosodique, en plus d’établir avec une minutieuse précision la liste des variantes, qui s’étale parfois sur une douzaine de pages. Ces notes offrent au total des renseignements de toute nature : historique, géographique, linguistique, mythologique, sociale, littéraire et culturelle. Le tout est coiffé d’un exergue d’Hérodote fort approprié : « […] afin que le temps n’abolisse pas les travaux des hommes ».
Présenté sur les plans thématique et formel comme le « premier poète romantique » québécois, François-Xavier Garneau a laissé une œuvre quantitativement modeste qui fut publiée dans la presse périodique, comme la chose était courante à l’époque. Il a surtout pratiqué les genres lyriques de l’élégie, de la ballade et de la chanson, à la manière, dans ce dernier cas, du chansonnier français Pierre-Jean de Béranger. Il a signé également des « vers d’album » de même que des poésies de circonstance connues sous le nom d’« étrennes ». Tous ces poèmes n’ont pas les mêmes mérites, beaucoup s’en faut. Quelques-uns recèlent même des gaucheries manifestes. En revanche, des textes comme « Louise » (1840), « Le dernier Huron » (1840) et « Le vieux chêne » (1841) comptent parmi les plus achevés : le premier est une « légende canadienne aux accents patriotiques » dont les 390 vers forment « le plus long [poème] publié » de l’auteur ; le deuxième est son « poème le plus connu et le plus souvent cité » et le troisième est « la pièce majeure de son répertoire ». À ces trois morceaux d’inspiration nettement romantique il faut ajouter l’unique et surprenant « Papillon » (1841), dont le ton, la mesure des vers et l’organisation strophique concourent à inscrire dans l’écriture elle-même l’image du vol imprévisible et capricieux du lépidoptère.
Dans l’ensemble, l’édition critique des poésies de l’arrière-grand-père de Saint-Denys Garneau rejoint par sa qualité celle de l’œuvre poétique d’Octave Crémazie, par Odette Condemine, en 1972, et constitue un jalon capital pour la connaissance en profondeur du XIXe siècle littéraire québécois.