« Je veux nommer jusqu’au vertige / tout ce qui m’a touché / les traces indélébiles / de certains moments / les épiphanies du quotidien / au long de la longue complainte / de mon appartenance », écrit Gérald Leblanc.
Ces quelques vers sont tirés de Complaintes du continent dont il termine les corrections alors qu’il réside pour quelques mois à New York, une ville dans laquelle il se sentait bien. D’un côté, le calme de Moncton, « sa » ville, celle de « son appartenance », dont il connaissait les limites, et de l’autre, la démesure de la métropole américaine : « Par le biais de mes nombreuses lectures, mes visites de galeries, soirées de poésie, etc., j’absorbe et je réfléchis sur des pratiques culturelles sans contraintes extérieures. Je suis dans un état de recherche actif, dans un ressourcement nécessaire », écrit-il à Herménégilde Chiasson le 20 février 1993.
Poèmes new-yorkais suivi de Lettres new-yorkaises regroupe la réédition de son recueil posthume (2006) et vingt-sept lettres écrites entre le 2 février 1993 et le 3 novembre 1994, dont dix-neuf ont été écrites à New York et les autres, à Moncton (mais se réfèrent à New York), toutes étant adressées à des amis acadiens ou québécois. Les lettres sont accompagnées de nombreuses notes de l’éditeur qui donnent des informations sur les créateurs, les créatrices, les lieux, les œuvres dont il parle. Un inédit, une suite de fragments d’une dizaine de pages qui n’a aucun lien avec New York, « Confession de la rue Dufferin », cette rue qu’a habitée Leblanc à Moncton, complète le livre ; ce document a davantage une valeur documentaire que littéraire.
C’est la vie qui est au centre des Poèmes new-yorkais, qui ont été écrits entre 1992 et 1998. De promenades en rencontres, tout ce qui crée le quotidien dans sa simplicité et, en même temps, dans son unicité, alimente l’écriture. Ici, le dépouillement et l’essence même de la vie constituent le terreau de la réflexion. Les thèmes chers à Leblanc reviennent : l’amour dans ses difficultés, mais aussi ses plaisirs, la musique toujours omniprésente, la ville qu’il nous fait ressentir au travers de fines notations.
« New York, écrit-il, nous invite à la démesure / au dépassement. » Leblanc vibre en errant dans ses rues, en s’imprégnant de ses odeurs, de ses sons. En arrière-plan la musique, celle de ses préférés : Miles Davis, Nina Simone, Billie Holiday, Otis Redding, et d’autres, sources d’inspiration et d’illustration de ses sentiments. Et la littérature, tantôt citation qui nourrit un texte, tantôt évocation d’une atmosphère.
C’est ce sentiment de découverte qu’il partage avec ses correspondants. Si Leblanc énumère ses nombreuses activités et lectures, il ne les analyse guère. On sait qu’il aime, apprécie, écoute, mais on ne saura pas vraiment pourquoi. Ce n’est pas un critique qui écrit, mais un lecteur ou un spectateur enthousiaste. Le style est familier ; il partage son quotidien sans chercher à faire littéraire, contrairement à ses poèmes qu’il fignole pour leur donner cette fluidité et cette simplicité chantante qui les caractérisent. Par contre, ces lettres sont précieuses pour quiconque s’intéresse à Leblanc parce qu’elles nous permettent de connaître ce qu’il vit à New York et ses réactions sur ce qui se passe en Acadie.