Pourquoi faut-il que la francophonie canadienne soit toujours obligée de se défendre ? Si la paix linguistique est relativement assurée en Acadie, il n’en est pas de même dans l’Ontario français à cause des compressions du gouvernement Ford.
En réaction à cette situation, Andrée Lacelle a invité les poètes « né.e.s ici ou ailleurs ou qui […] ont vécu » dans l’Ontario francophone à prendre la parole pour dénoncer, mais surtout affirmer la « Franche Ontarie » (François Baril Pelletier) en leur proposant cinq thèmes qui constituent les parties du recueil : « Cohésion », « Sentiment », « Matériaux », « Tenir tête » et « Temps ». Trente-six ont répondu à son appel. Le recueil qui en a résulté est un appel à la solidarité, un cri d’espoir et surtout un cri d’amour.
« Cohésion » traite de la force du groupe : « Nous montons de nouveau au front / Retrouver un adversaire que nous connaissons bien / Comme hier / Il cherche à nous effacer de l’histoire ». Le « nous » de Jean Marc Dalpé est incisif, volontaire, déterminé. Il retrace les grandes lignes de l’histoire des « Dead Ducks », qui résistent toujours aux prédictions fondées sur le taux d’assimilation, pour clore par « les Dead Ducks vous disent bonjour ». Stefan Psenak reprend le même thème en le modulant à partir de son expérience personnelle : « À l’abandon / je me fonds / dans la cohésion du groupe / je résiste / à la tentation d’abdiquer ». Tous les textes de toutes les sections confirmeront ce qui pourrait évoquer un bras d’honneur.
« Sentiment » explore la résistance à l’autorité, représentée par Doug Ford. Sonia-Sophie Courdeau se demande : « Suis-je engagée parce que j’écris ? / Je n’y avais jamais réfléchi ». Son poème apporte la réponse que les autres textes confirment. Ainsi Elsie Suréna, une Haïtienne d’origine qui vit à Hearst, constate dans un des plus touchants poèmes du recueil : « Je ne me savais pas francophone / Jusqu’à ce que l’opposition aux Franco-Ontariens / De m’sieur Ford m’accule à ressentir l’appartenance / À notre grande et belle minorité francophone ».
« Matériaux » cherche à inscrire la durée dans l’espace « car la résistance est complice du temps que nous sommes », précise Gilles Lacombe, tandis que Sylvie Bérard ajoute : « Je ne réside pas dans le passé mais dans l’espace ». Pour Catherine Parayre, le matériau premier est la langue : « Les mots, les mots franco / se dressent, comme des arbres / et coulent encore / ici et là, hors des écoles / et dans les écoles » et, ajoute-t-elle modestement, « mais pas / plus haut et pas plus loin » : il ne faut pas faire à l’autre ce qu’il cherche à nous faire.
« Tenir tête » affirme haut et fort la détermination : « Nous nous insurgeons / Nous crions notre colère incendiaire », clame Pierre Raphaël Pelletier, idée qu’appuie Lélia Young : « Tenir la tête de l’hydre et dire non / au vol de mon identité ». « [C]ultiver solidarité, générosité, liberté, dignité », écrit Hédi Bouraoui.
« Temps » clôt le recueil. Nicole F. Champeau lie le présent au passé : « Je dirai l’espérance de leurs voix anciennes / Leur passé parcouru d’avenir / J’irai là où ils ont hiverné », tout comme David Ménard : « Nous sommes / nous serons toujours là / le Règlement 17 sera toujours révolu », et il enchaîne en prédisant que « nous regarderons la reprise de notre victoire à TFO ». Le mot de la fin appartient à Andrée Lacelle : « Déjouons novembre noir / Place à la lumière / Vive ».
Un recueil militant qui donne aussi un aperçu saisissant de la vitalité de la poésie franco-ontarienne et dont les textes dépassent largement le caractère circonstanciel de la commande.