Peut-être un peu moins lue que celles d’autres écrivains de la « génération de l’Hexagone », l’œuvre poétique de Gilles Hénault porte néanmoins un élan fondateur impressionnant et mérite qu’on lui évite l’oubli. Pour ce faire, la rétrospective que présentent les éditions Sémaphore est un excellent moyen, puisque l’exhaustivité du livre s’accompagne d’un grand soin graphique et éditorial. Désormais référence incontournable, l’ouvrage reprend tous les recueils (dont le magnifique Sémaphore), entre lesquels on a intercalé des poèmes épars de diverses époques, ce qui est complété par une postface de Philippe Haeck.
Animateur avec Éloi de Grandmont des « Cahiers de la file indienne » dans l’après-guerre, Gilles Hénault s’est situé à l’avant-garde autant comme éditeur de poésie que comme écrivain, avec des textes oniriques au surréalisme modéré, imprégné d’idéaux de gauche. Il s’agit aussi parfois d’un étonnant poète dans l’écriture en prose (Voyage au pays de mémoire, À l’inconnue nue).
Ancrés dans l’existence malgré leur penchant pour le foisonnement baroque des images, les poèmes des premières décennies se comparent sans peine à ceux de Roland Giguère, d’Yves Préfontaine ou de Gaston Miron, puisqu’ils parviennent à faire coïncider l’exploration identitaire, la quête amoureuse et la construction d’un sentiment de collectivité. Parfois incantatoire, parfois méditative, cette parole adoptera plus tard des accents moins chantants, sensible qu’elle est aux développements les plus désolants du monde moderne et soucieuse de demeurer « à l’écoute de l’écoumène » plutôt qu’à son propre ronronnement.
Un large pan de notre poésie peut être contemplé à travers ces quelques recueils, de même qu’une aventure humaine remplie d’affirmations et d’interrogations. Tout n’est pas de la même eau dans cet ensemble, et quelques poèmes résistent moins bien à l’épreuve du temps, mais il faudra de toute évidence relire Gilles Hénault afin de mieux mesurer son apport à l’invention de notre littérature.