Avril 1912 : un homme, Pilgrim, s’est pendu dans son jardin, deux nuits après le naufrage du Titanic ; ou, plus exactement, il a tenté de se suicider car déclaré cliniquement mort, il a en vérité (une fois de plus…) survécu, continuant d’être celui que la mort dédaigne. Interné dans une clinique de Zurich, Pilgrim, le (fictif) critique d’art, devient le patient du (vrai) docteur Carl Gustav Jung, inventeur de l’inconscient collectif. Entrée en matière déconcertante pour ce roman qui déroute continûment le lecteur : un pavé de 500 pages ; un prétexte singulier ; un pari d’écrivain que l’on a de la peine à ne pas trouver trop ambitieux sur le papier. Et pourtant… – le talent de Findley est là – l’intrigue captive, atteint étonnamment à la vraisemblance, sinon à la vérité. Jung est circonspect avant de découvrir «un élégant volume relié de cuir, aux pages écrites à la main, dont le frontispice arborait l’ex-libris centré du dénommé Pilgrim», le journal intime de son patient dont il scrute le parcours pour le moins inattendu. Après la surprise vient l’examen, après l’examen, le trouble, et toujours le questionnement sur la vraie nature de la folie. Pilgrim est immortel ; il a croisé dans ses vies successives Léonard de Vinci, Sainte Thérèse d’Avila, Oscar Wilde, Henry James ; il a tout épuisé de l’humanité dont le destin s’accorde avec le sien propre. Est-il un fou génial, un mythomane patenté ou la victime d’une bien curieuse malédiction ? Il fascine son médecin et le désarçonne, le touche et le tourmente, l’instruit et le fait douter.
Le roman labyrinthique de Findley, savamment orchestré et bourré d’érudition, ne fournit aucune réponse ; il se contente magistralement de poser des questions, jusqu’à l’ébauche d’un éclaircissement qu’est la lettre testamentaire de Pilgrim : «Ce que la vie attend de nous, c’est d’aller au-delà de ce que nous pouvons endurer. Elle nous demande d’accepter à la fois ses limites et ses possibilités, tout en exigeant également que nous repoussions ses frontières à la recherche de l’éternité. Je ne veux pas de l’éternité. Je n’en ai jamais voulu. Je ne crois pas en l’éternité. Je crois au moment présent. Si je suis l’Incarnation de quelque chose, c’est celle des vérités endurables et de la cécité de mes semblables humains». Divin !