Pikauba, le deuxième roman de Gérard Bouchard, poursuit la saga entreprise en 2002 avec Mistouk. Bien que ses mânes soient omniprésentes, Méo Tremblay, le héros du premier volet, fait ici place à son fils Léo. Pikauba s’ouvre sur le drame vécu par le garçon, à six ans, sur la Réserve de Pointe-Bleue : sa mère, l’Indienne Senelle Manigouche, vient de mourir sous les crocs d’une meute de loups. Peu après, il est pris en charge, à Mistouk, par Julie Blanchette, qui s’attachera à lui pour toujours. Puis c’est l’adaptation difficile du jeune Métis au monde des Blancs, qui le traitent de « bâtard », comme écolier d’abord, comme collégien ensuite, vite incapable d’ailleurs de supporter la « vie cloîtrée » qui l’étouffe au Séminaire de Chicoutimi. Léo commence alors à travailler, à 16 ans, avec son oncle Antonin, à Jonquière. De fil en aiguille, il entreprend une ascension qui fera de lui un entrepreneur forestier florissant, voire « l’homme le plus riche de la région ». Le camp de Pikauba, dans le Parc des Laurentides, devient rapidement le centre des activités de la Société Mistapéo et le lieu d’un véritable « Village » regroupant des milliers d’individus, dont plusieurs femmes et enfants. La réussite du « bâtard » s’accomplit de surcroît malgré les manigances d’un concurrent hypocrite, le réputé Elzéar Gosselin, et en dépit des manœuvres d’un clergé jaloux de ses prérogatives, qui ne lui pardonne pas sa « colonie sans prêtre, sans église ». Parallèlement, la vie amoureuse de Léo connaît des soubresauts qui se résolvent par son mariage avec Cibèle, une amie d’enfance, après l’abandon des affaires, au seuil de la quarantaine.
Les lecteurs de Mistouk retrouveront sans doute avec plaisir un déroulement chronologique simple et efficace, un ton humoristique de bonne venue et des pages d’anthologie où le romancier le dispute avec succès au socio-ethnologue. Force est cependant de constater que Pikauba n’a pas la densité ni le fondu cohésif du premier roman. Tendent fortement à modérer l’adhésion du lecteur, en effet, des épisodes plus ou moins gratuits (tel l’égarement de l’Indienne Nova en forêt, au 37e chapitre), des longueurs (par exemple lors des « olympiades régionales », au 42e chapitre), des détails parfois surabondants (v.g. pour les livraisons « de croûtes, de rippe ou de bran de scie », en « troque », au 6e chapitre), ou encore la présentation sérielle et monolithique de la faune humaine colorée de Pikauba, sur huit pages, au 18e chapitre. Certaines négligences donnent du reste à penser que le roman a pu être composé un peu rapidement : ainsi, pourquoi Léo, venu au monde le 24 juin 1919 dans Mistouk, naît-il un jour plus tard dans Pikauba ?