Presque tout le théâtre de Gratien Gélinas (1909-1999) en un volume, c’est à la fois peu et beaucoup : seulement quatre pièces, mais qui vaudraient autant que l’ensemble de l’œuvre d’autres pionniers comme Marcel Dubé.Cette intégrale regroupe Tit-Coq (1948), Bousille et les justes (1959), Hier, les enfants dansaient (1966) et La passion de Narcisse Mondoux (1986). Il manquerait seulement à cette « intégrale » les Fridolinades – reprises en plusieurs tomes aux éditions Leméac puis chez Quinze. Dans son introduction, Paul Lefebvre resitue une époque et considère les Fridolinades comme « l’acte fondateur » de la dramaturgie québécoise.Le thème de l’exclusion traverse l’œuvre de Gratien Gélinas. Né illégitimement, Tit-Coq veut se voir enfin accepté, intégré, considéré dans une vraie famille. Paul Lefebvre explique dans sa présentation les embûches réelles auxquelles faisaient face les « bâtards » en 1948 : « Impossible d’ouvrir un compte en banque, de faire des études supérieures, de devenir propriétaire, de travailler pour le gouvernement, et ainsi de suite ». Le jeune Bousille, quant à lui, refuse d’intégrer un système corrompu qui tente de l’entraîner ; le fils marginalisé et le père suivent des chemins opposés dans Hier, les enfants dansaient, tandis que l’ouvrier philistin tente de séduire une femme du monde qui n’est pas de son rang social dans La passion de Narcisse Mondoux.On relit avec intérêt les pièces volubiles du dramaturge montréalais et on repense à une adaptation cinématographique tout aussi pionnière : par ses tirades et ses longs monologues, le film Tit-Coq faisait de Gratien Gélinas – à la fois auteur, réalisateur et acteur principal – une sorte de Sacha Guitry québécois (son coréalisateur René Delacroix avait d’ailleurs travaillé avec l’auteur de Faisons un rêve). Même approche (et le recours utile au téléphone, comme chez Guitry) pour l’ultime pièce à deux personnages, La passion de Narcisse Mondoux.Après cette intégrale presque complète, on ne peut qu’espérer une édition critique des œuvres de Gratien Gélinas, car ses textes traduisent éloquemment les mentalités de leur époque et les limites de ce qui pouvait être fait alors : la tentation de l’union libre et du divorce dans Tit-Coq, la corruption politique dans les œuvres suivantes et le besoin de s’élever socialement.Par ailleurs, les illustrations montrant la création de chaque pièce ont un intérêt historique indéniable ; mais sans pour autant penser à un photoroman, on aurait souhaité un format plus ample et plus luxueux.
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