Phée Bonheur fait revivre quelques années de la décennie de 1940, soit depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, qui a laissé nombre de victimes et d’éclopés, jusqu’à l’aube des années 1950, où la modernité éclate de toutes parts. Il présente une théorie de personnages plutôt originaux, parmi lesquels se détache l’héroïne éponyme du récit. Ex-institutrice devenue boulangère, Phée Bonheur est « dotée d’une rectitude intérieure peu commune ». Le dernier-né de cette maîtresse femme n’est par ailleurs pas un enfant comme les autres. Non seulement ne pleure-t-il jamais, mais encore est-il attiré par les aspects non ordinaires de la vie. C’est pourquoi il crée souvent l’émoi dans son milieu.
Le récit de la quotidienneté des choses banales et moins banales de ces campagnards est à l’occasion ponctué d’une note humoristique de bonne venue, visible d’abord dans l’onomastique. On y rencontre un curé du nom de « Dhostie », un fossoyeur prénommé « Lazare » et une famille de vicieux et de cogneurs appelés « Massu ». Au plan géographique, l’action se passe principalement à « Saint-Piedmont », un village situé dans les Basses-Laurentides, voisin de « Sainte-Fumée » et sis à proximité de « Villenoble ». Et l’industrie locale qui fait « vivre » la région s’appelle… la « Deadwilling Tobacco » ! Ailleurs, ce sont les épisodes qui forcent le sourire, tel celui du « cérémonial intime » du savonnage de Béatrice avec un pain sculpté au faciès du David de Michel-Ange, ou celui des justes prévisions du poids des nouveau-nés par Alcibienne, qui « se disait Balance dans les signes du zodiaque »…
Mais cette note, inégalement tenue, ne réussit pas toujours à occulter certaines longueurs : si le roman est le « premier volume d’une série à venir » (quatrième de couverture), l’intrigue des tomes suivants devra être resserrée davantage. Tous les éléments sont néanmoins en place pour faire de ce récit une saga haute en couleurs.