« Qui es-tu ? » Voilà la question que posait Janine, la fille de Paul-Émile Borduas, à ce père si loin dans l’espace et le temps, et dont l’image s’effaçait peu à peu. « Qui êtes-vous Paul-Émile Borduas ? » pourraient demander les jeunes d’aujourd’hui pour qui la période de la grande noirceur semble difficilement concevable.
De Borduas on sait qu’il était peintre, qu’il a été l’auteur d’un document révolutionnaire prônant un « refus global », un changement radical, une liberté totale dans les arts mais aussi dans la vie. On sait que sa peinture que l’on voit dans les musées est abstraite, souvent un hymne au noir et blanc, à la simplicité. On en déduit que, pour lui, l’art de peindre devait se libérer des contraintes pour laisser place à la spontanéité, à l’automatisme, terme autour duquel se sont d’ailleurs regroupés, pour un temps bien court hélas, les signataires du document.
On sait aussi que Borduas est parti vivre à Paris et les rumeurs qui circulaient localement faisaient souvent de lui un artiste à succès. Comment en douter alors qu’aujourd’hui, Borduas est considéré comme un maître, l’initiateur d’une révolution culturelle qui malgré la répression des autorités gouvernementales et ecclésiastiques a fait son chemin dans les arts visuels mais aussi dans d’autres domaines de la création, dans la vie même.
En réalité, dans sa volonté de refaire le monde, Paul-Émile Borduas, l’homme, a vu son propre monde se briser. N’était l’artiste en lui qui avait survécu tant bien que mal dans le monde de la création, ses derniers jours auraient été une bien triste affaire. Le récit que nous en fait Jean-Louis Gauthier le prouve bien.
L’auteur a fait un travail de recherche remarquable et nous conte les années d’exil en France du peintre comme s’il les avait vécues auprès de lui. C’est un portait de l’homme d’une vérité prenante, émouvante. C’est le portrait d’un homme qui a refusé ce à quoi ces hommes qui détenaient le pouvoir semblaient vouloir le condamner, lui et ses pairs. C’est le portrait d’un homme qui, somme toute, a tenté de noyer la peine que lui ont causée son exil et la séparation de sa famille dans un désir inassouvi de conquérir le monde.