Quiconque travaille dans le milieu de l’assistance aux paumés de nos arrogantes sociétés du Nord sait qui est Guy Gilbert. Héritier de Mère Teresa, de l’Abbé Pierre et de Sœur Emmanuelle, ce prêtre à haute couleur spirituelle et musculaire est l’inspirateur d’une communauté non confessionnelle (chrétiens, juifs, musulmans et athées s’y côtoient en effet dans la plus stricte dignité) vivant dans les Alpes de Haute-Provence. Né il y a 24 ans, le groupe est formé de jeunes délinquants qui décident de se remettre sur les rails. Pour traverser cette épreuve, la plus belle qui soit, ils peuvent compter sur les copains, l’équipe et les animaux. Car Faucon — c’est le nom de l’endroit —, à l’origine une simple bergerie, abrite aujourd’hui, outre les moutons, toutes sortes de bêtes : vaches, poules, cochons, chiens et chats bien sûr, mais aussi autruches, pigeons, paons, chèvres, sangliers, alpagas, kangourous, daims, chaque famille enseignant à qui s’en occupe un peu d’humanité. C’est pourquoi Faucon est aussi, et surtout — je souligne —, un lieu de vie et un lieu d’amour, la zoothérapie constituant un moyen comme un autre d’expérimenter l’écoute plutôt que la casse. Et si Guy Gilbert refuse de répandre le modèle ailleurs, c’est pour éviter de fonder une « multinationale champêtre ». On le comprend, quand il évoque le lierre qu’il a rapporté d’une retraite à Tibhirine.
C’est cette aventure que nous raconte le Rambo des démunis, à laquelle se sont greffées l’expérience de l’écriture et celle des médias. Qu’il parle de la crèche, de l’ordination des prêtres, de Diana, du Mondial ou du Titanic, c’est toujours le même message : vis pauvre et ta richesse deviendra inestimable. Une phrase synonyme : Bats-toi et prie… par amour ! Entre l’action et la prière — qui est encore action —, il cherche avec son équipe à développer chez les jeunes le partage, le don de soi, la tolérance, le respect de la vie, le travail, la patience, l’honnêteté, la justice, le pardon, la rigueur, le discernement, la responsabilité, la gratuité, la générosité, la chaleur humaine, l’amitié et l’amour, bref, toute une série de valeurs hypocritement bafouées et méprisées dans la logique du profit et de la performance. Comment voudrait-on que nos jeunes entendent autre chose que la brutalité et la barbarie si on leur enseigne la cupidité, la haine du concurrent, la productivité à moindre coût et la sélection artificielle ?
À Faucon, quatre règles, très simples : pas de violence, pas d’alcool ni de drogue, pas de sexe entre les jeunes. En prime, quelques autres élaborées par les loubards eux-mêmes et celle-ci, qu’il n’est pas nécessaire de commenter : « Si tu penses qu’à ta gueule, tu fais de nous une bande de loups. » Il s’agit donc de mettre beaucoup en commun sans jamais oublier que chacun doit conserver intacte sa « part de mystère ». Tout cela revient à apprendre la beauté du monde.