Comment organiser le récit collectif de l’histoire des Québécois au sein de l’ensemble canadien et poser à sa suite la question de leur avenir ? Pour Jocelyn Létourneau, il est grand temps de se débarrasser du poids d’un passé perçu comme « douloureux ou navrant », un passé qui n’est pas assumé et qui obstrue l’avenir parce que renvoyant constamment à un espoir déçu. Au lieu d’aborder cette histoire dans l’incompréhension ou l’étonnement que représenterait le destin inachevé d’une nation québécoise, l’auteur insiste plutôt sur l’originalité de l’espace politique qui s’est créé dans l’affirmation constante de la spécificité canadienne-française rejetant tout à la fois une situation « d’incorporation » ou « d’enclavement » au sein de l’État canadien. Ainsi, l’histoire des Québécois reposerait sur une « ambivalence d’être et des ancrages croisés » qui ont combiné dans le comportement politique « sagesse ancestrale » et « risque calculé ». Le Canada puiserait de cette « dualité constitutive et structurante » une dynamique qui le préserverait de l’éclatement et lui conférerait sa stabilité.
Cette thèse vient à l’encontre des idées bien connues de Fernand Dumont et de Gérard Bouchard dont les perspectives font ici l’objet d’une discussion critique élaborée avec nuance et rigueur. Les faiblesses et limites de leur démarche dans la construction du discours narratif portant sur la nation québécoise sont clairement exposées. En particulier, Jocelyn Létourneau décortique longuement et avec finesse toute la problématique du rapport entre chercheur et objet d’étude. Sous cet angle, il montre bien l’interférence ou les contraintes que peut constituer, sur le plan de la méthode, l’adhésion à un projet ou une vision politique qui, dans ce cas-ci, a pour effet de contourner l’explication d’un parcours qui loin d’avoir été dévoyé s’est plutôt révélé original et cohérent.
Quelle piste suivre alors ? Sur le plan conceptuel, beaucoup de travail reste à faire pour renouveler le récit collectif de notre histoire : il faut d’abord « se souvenir d’où l’on s’en va » et se préserver des déterminismes lorsqu’il est question de notre avenir. Ainsi, comprendre « l’ayant été » et le présent à travers le prisme de l’ambivalence ne doit pas être perçu comme une entreprise de reniement ou encore signifier le rejet du passé et de l’avenir. En bref, disons que Jocelyn Létourneau soutient très bien le pari de la redéfinition de « l’acte interprétatif ». Il lui reste maintenant à tracer les balises de cette histoire marquée par l’ambivalence qu’il souligne.