En Afrique de l’Ouest, au cœur de la société malinkée, les griots de sang – ceux qui font profession de poésie et de musique traditionnelles – forment une caste, un véritable groupe spécialisé dans l’art de la transmission des récits structurant la communauté. Ainsi que le dit le grand Hampaté Bâ (d’ailleurs cité par Le Robert) : « La coutume veut que le noble parle très peu et que son griot parle à sa place ». De quoi donner à réfléchir sur la dimension de répétition et de ventriloquie faisant que la parole est toujours parole de l’autre ou mieux, que parler les légendes et les mythes revient toujours à inscrire l’histoire et le symbolique par une voix venant en lieu et place de celui qui ne parle pas. De sorte que les paroles de griots proposées dans ce petit ouvrage peuvent s’entendre comme les échos d’une vérité passant par les nouages du lien social. Accompagnées des photographies des émouvantes sculptures d’Ousmane Sow – lesquelles donnent à voir les traits sveltes des griots -, ces paroles prennent ici un éclat scopique, les voix prenant alors chair par notre lecture certes, mais également par notre regard.
Malheureusement, les paroles luxuriantes ici compilées ne sont pas que celles de la tradition et pas que celles issues de l’empire malinké. Car voilà une institution menacée entre autres par le fait qu’elle n’offre plus la formation adéquate (laquelle, selon Ahmadou Kourouma, devrait inclure un programme spécial à l’institut des arts d’Abidjan où seraient enseignés la musique, le conte, la communication, la rhétorique et l’histoire des Mandingues). Reste qu’on lira ici d’émouvantes écritures nous venant aussi bien de l’ex-Zaïre, de Côte-d’Ivoire, d’Afrique du Sud que de Guinée, du Sénégal, du Mali ou du Burkina Faso. Et je ne résiste pas au plaisir de citer cette parole du pays yoruba : « Quiconque rencontre la beauté et ne la regarde pas sera bientôt pauvre ». Comment l’entendent nos oreilles hyper capitalisées, le plus souvent absentes à l’idée même d’humanité ? La tâche du griot, plus que jamais essentielle, consiste peut-être à interroger ce que possède en propre l’homme : « Je te demande, petiote créature humaine, Qu’est-ce qui est à toi ici-bas ? » La réponse de Rokia Traoré est sans équivoque : le monde n’est pas à l’homme.