Les textes de ce livre, disons-le d’emblée, nous arrivent diffractés. Ils sont passés non pas par deux ou même trois langues, mais bien par quatre. Pensés en « nosu », langue d’un groupe ethnique du même nom habitant le sud-ouest de la Chine, écrits en chinois, langue du colonisateur, les poèmes de Paroles de feu ont été traduits en anglais, puis de l’anglais au français. Françoise Roy, qui signe ici la traduction française, ne cache pas l’immense défi que constituait ce projet, mais elle avait « confiance que ce texte – dans sa migration entre cultures, alphabets et sémantiques très dissemblables – réussira le miracle épiphanique qui est la mission première du poétique ». On ne connaîtra donc jamais vraiment, à moins d’être polyglotte, le degré d’authenticité de ces vers. Et cela semble avoir peu d’importance au regard de ce que leur lecture nous fait vivre.
Les poèmes émergent d’une « vallée entourée de vallées entourées de montagnes » et d’un « brouillard solitaire », ceux-ci traversés par des « milliers de rivières sauvages ». Cette nature à la fois rigoureuse et complexe est dominée par un ciel vaste comme la mort. Toute vie particulière y est passagère et brève. Dans ces terres « aussi muettes que du roc » reposent les anciens. Leur souvenir, ravivé par la tradition nosue, fait partie intégrante de la vie ici-bas : « En ces moments de calme absolu / on entend souvent les bruits venant de l’autre monde ». Cet autre monde entend et voit aussi le nôtre ; il arrive parfois que les défunts, troublés dans leur repos, « craign[ent] les ombres qui leur sont inconnues ». Le poète tire de cette communion des mondes antagonistes force et humilité. À d’autres occasions, il exprime, mais toujours avec un fond de sérénité tibétaine, si j’ose dire, sa révolte ou sa tristesse devant le spectacle du cycle infini des vies et des morts : « J’ai vu plusieurs objets sans vie / qui ont les traits faciaux du peuple nosu. / Un siècle après l’autre de silence / n’a rien pu faire pour alléger leur agonie ».
Hanté par la mort de sa mère, qui lui fait d’ailleurs écrire ses plus beaux poèmes, Jidi Majia apparaît dans ce livre à la fois comme un enfant naïf contemplant le vol d’une libellule, et un vieillard, un pied dans l’abîme.
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