Couronné par le Grand Prix du livre de Montréal à l’automne dernier, Parents et amis sont invités à y assister est le second opus de Hervé Bouchard, « citoyen de Jonquière ». Ce récit, orchestré par une prose polyphonique à la fois très imaginative et jamais loin de la langue orale, relate l’histoire des funérailles d’un père de famille et de ce qui s’ensuit, c’est-à-dire un deuil, un drame, celui de Laïnalinée, la « veuve manchée », et de ses « orphelinés », six garçons sans prénom, que l’on nomme par un numéro de un à six. « J’ai vu la mère manchée, elle pleure dans la pièce aux cent manteaux. Ses sœurs l’entourent. » Comme l’indique le sous-titre, le roman, ou l’histoire maîtresse, est scindé en deux demies, dont le centre forme six récits qui relatent des événements du passé, des souvenirs, des tranches de vie un peu grises et absurdes mettant en scène les membres de la famille de la veuve. Il y a, par exemple, la séquence délirante où deux des orphelins en cavale se cherchent du boulot et finissent par se rendre en Ontario, où ils travaillent dans un champ de tabac. Entre chaque ligne du roman, une sorte de désolation saugrenue pénètre les événements, et dans le cas de la mère éplorée, beaucoup de détresse et de drame. « Les paroles, c’est tout ce que nous avons, je dis des paroles, et ce sont des gaz qui empestent la place. [ ] j’en ai plein la robe de la marde, de la vraie marde de viarge de mort de marde. » Un peu partout, on perçoit l’influence de Samuel Beckett, cela par l’univers glauque qui est construit, par le sordide et le grotesque de certains événements. Mais également par la présence d’éléments scatologiques. Cela dit, c’est par le biais d’une langue fortement musicale, d’une langue truffée d’inventions et de trouvailles que ce monde sordide est raconté. De fait, Parents et amis mérite d’être lu à voix haute, fort même, tant son inventivité langagière est riche et sonore. Cette œuvre, à la narration discontinue, aux voix multiples et aux jeux langagiers constants, est à la fois touchante et drôle ; elle est, en somme, magnifiquement composée.