Dans sa version française, le dernier roman de Peter Handke comble difficilement les attentes qu’il crée. Que ce soit une question de traduction (G.-A. Goldschmidt a pourtant traduit la majorité des romans de l’auteur) ou bien l’écart entre le projet et sa réalisation, il reste que l’épopée existentielle annoncée par Handke nous laisse un peu de marbre.
L’histoire du pharmacien de Taxham possède pourtant des charmes bien à elle. Par le relais d’un narrateur à qui l’homme a raconté ses excursions dans les forêts puis aux frontières de la folie, nous assistons ici au récit d’une initiation onirique où les notions de temps et d’espace, d’identité et de réalité sont complètement déstabilisées, faisant corps avec l’indéfectible « euro-névrose » de l’écrivain. Taxham, agglomération d’Autriche où se mélangent la campagne et la ville, est en fait une porte ouverte sur l’espace imaginaire. Lors des vacances de sa femme, avec qui il entretient une relation platonique depuis plusieurs années, le pharmacien mycologue dérape subitement après un hypothétique coup sur la tête, qui pourrait tout aussi bien être le contrecoup d’une opération récente. Dès lors, les événements s’enchaîneront selon une causalité mystérieuse, reliée de façon souterraine au roman médiéval qu’il était en train de lire. En compagnie d’un poète et d’un ex-champion olympique, le pharmacien circulera dans une Europe prenant les dimensions de la Terre. Les villes rencontrées le long d’une autoroute en boucles seront donc autant australiennes ou américaines qu’européennes, et c’est une ambiance de festival et d’apocalypse mêlés qui y régnera.
Deux fois moins long que le précédent, Mon année dans la baie de personne, ce dernier roman paraît cependant plus laborieux, malgré son élan vers la poésie. Le piétinement narratif qui constituait en soi une intrigue redevient cette fois presque un défaut, et l’équilibre entre émotion et raison est moindre. Le thème des champignons, fascinant dans Mon année, est ici moins fertile, plus près du prétexte.
Fable obscure à propos d’une culture bouillonnant au bord de son propre vide, cette œuvre agit davantage après sa lecture, alors qu’on se demande toujours quelle peut être la vérité enténébrée qu’elle tentait d’agripper. Ce qui correspond un peu à l’état final du narrateur : « Et après un long moment d’arrêt sur soi-même une dernière recette : ‘ N’écrivez que des histoires d’amour et d’aventures, rien d’autre ! ‘ – Quelqu’un s’en allait. Le silence se fit dans la maison. Mais il manquait encore quelque chose : je n’ai pas entendu se refermer la porte. »