Avec Ourania, J. M. G. Le Clézio nous convie à un voyage paradoxal et désenchanté en Utopie. Son narrateur, un géographe français en mission au Mexique, sera confronté – sans cesser d’être émerveillé – à deux expériences collectives en rupture avec notre modernité néolibérale. Mais ce franchissement des frontières, cette mise en perspective d’un ailleurs travaillé tant par des utopies que par les différentes figures d’un pragmatisme prédateur, ne nous sera livré qu’après que le narrateur ait replongé dans un souvenir d’enfance : l’invasion puis l’occupation par les troupes allemandes, associées à l’absence du père, la mère et l’enfant étant seuls pour faire face à l’histoire et à la guerre. L’enfant n’aura alors comme outil pour lutter et échapper à l’horreur du moment qu’un gros livre rouge parlant de la Grèce, de ses îles. Et c’est cette Grèce idyllique qui leur permettra d’échapper à la réalité insupportable du moment.
Vient ensuite la présentation des deux utopies qui ont pris la forme de communautés que le narrateur côtoiera au Mexique : celles du Campos et de l’Emporio. La première nous convie à une expérience mystico-libertaire menée sous la houlette d’un patriarche (un Indien de nation dinée et de père canadien-français) ; la seconde à un humanisme néogrec. Toutes deux minées par des prédateurs externes et des machiavels internes.
Les influences littéraires explicites (Thomas More, Robert Louis Stevenson, ) ne doivent pas nous faire oublier une autre facette de l’utopie amplement déployée dans Ourania, celle d’une fiction permettant de fuir la tragédie du réel. L’utopie, comme la fable, a l’extraordinaire faculté de maintenir l’espoir, la joie de vivre. Et le vecteur par excellence d’exploration distante des utopies et du réel est, pour l’auteur, le français.
La langue française, Le Clézio la pose comme un « lieu » qui aurait renoncé à son incarnation, ceci permettant de chaleureuses errances, troublées jusqu’au dégoût par la mesquinerie, la férocité vorace d’humains ayant fait de l’avoir leur seul horizon.
On aimerait commenter plus longuement ce roman. C’est dire qu’il ne laisse pas le lecteur indifférent, plutôt envoûté par la circularité et la sobriété des outils littéraires que déploie Le Clézio au sommet de sa maîtrise d’une fiction toute en clair-obscur.