« Où que vous soyez / Restez-y », nous intime Martin-Pierre Tremblay avec ce ton sec qui traverse toute sa poésie. Récipiendaire de nombreux prix avec son premier recueil Le plus petit désert (1993), auteur aussi des proses et des vers d’Une année bissextile (1994), il révèle ici plus que jamais le côté percutant de son style. Avec rarement un mot de trop, d’une lucidité tranchante et sur un ton aussi direct que hautain, son discours est le bienvenu dans un paysage poétique en quête de renouvellement. Là où on s’attendait à ce qu’il approfondisse un lyrisme tenu en bride dans ses recueils précédents, l’auteur enchaîne fragments pornos et sentences cinglantes. Puis, alors qu’on s’attendrait à le voir persévérer dans le négatif, il accouche d’un romantisme renouvelé, dans une sorte de danse macabre où l’errance des gens d’une beuverie à l’autre ne révèle que le plus strict néant : « Et je ferai rendre / À ce réel moche / Prévisible / Atone / Un son de teen dream / Qui rentre / Sur le bout des pieds / D’une soirée arrosée ». Si ce n’était du vers irrégulier, on se croirait parfois dans la poésie semi-désenchantée de Michel Houellebecq.
Chez Tremblay, l’unique strophe de chaque page ne relève pas d’une absence d’inspiration mais correspond à une vision lapidaire, à laquelle suffit souvent la mention d’un trait de caractère, d’une tranche d’impression, pour que s’ouvre une fenêtre par laquelle devient accessible la vie entière d’une personne ou d’une ville inconnues. Repoussant la proximité avec les choses, celui qui parle ne se rapproche pas moins de celles-ci par cette prise de distance, aussi efficace à révéler son Sept-Îles natal que le lointain Paris : « Comme prévu / La poésie fout le camp / Avec les portables / Le bronzage / Et la mayonnaise du vécu ».
Sauf pour une volonté de choquer un peu ostentatoire dans quelques passages, l’ensemble manie habilement les contrastes, avec une conscience évidente de la situation de ce recueil par rapport aux deux autres de l’auteur. Beaucoup plus brutal que ces derniers, Où que vous soyez sonne à nouveau le réveil d’une voix à surveiller, chez qui l’équilibre entre la conscience critique et la fraîcheur perceptive laisse entrevoir encore bien des choses.